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« L’initiative européenne citoyenne, une avancée démocratique dans l’UE », article publié sur lemonde.fr, le 29 mars 2012

Par Edouard Pflimlin

Le 1er avril est-il un tournant pour les citoyens européens ? C’est ce jour-là qu’entre en vigueur l’initiative européenne citoyenne (ICE). Innovation institutionnelle du traité de Lisbonne, l’ICE permettra aux citoyens de solliciter la Commission européenne, afin que celle-ci propose et dépose un projet de loi devant le Parlement européen. En d’autres termes, c’est un droit de pétition des citoyens auprès de Bruxelles.

Un nouveau droit pour le citoyen européen qui suscite des interrogations

Pour Alain Lamassoure, ce nouveau droit donne aux citoyens un rôle important «  Il existe désormais un quatrième pouvoir d’initiative, celui qui appartient à tous les citoyens européens  ». Un avis que partage Jean-Luc Sauron, Maître des Requêtes au Conseil d’Etat, dans une note sur le sujet pour la Fondation Robert Schuman : «  L’initiative européenne constitue bien un outil de dynamisation et de démocratisation du circuit décisionnel européen. Elle participe à une meilleure prise en compte des aspirations des citoyens européens par la chaîne institutionnelle, nationale et européenne, qui les représentent.  »

Mais cette initiative n’est pas sans soulever des interrogations. Les citoyens pourront-ils réellement agir ? Alain Lamassoure balaye les craintes notamment sur le fait que l’ICE ne puisse être utilisée que par des acteurs organisés (ONG, associations, partis politiques…), seuls capables de mobiliser d’importants soutiens et de recueillir le nombre de signatures requis. «  Ce sera probablement le cas pour les premières initiatives : les partis politiques, les syndicats, les ONG déjà fortement organisées et impliquées dans la vie européenne seront fatalement mieux placés pour roder la procédure.  » Mais selon lui, «  la véritable cible de cette procédure, c’est le citoyen ordinaire qui ne parvient pas à se faire entendre de ceux qui décident en Europe (…) : les boursiers Erasmus qui découvrent que la reconnaissance mutuelle des diplômes ne fonctionne pas, les travailleurs transfrontaliers victimes de double imposition, les citoyens « pionniers » de la cause européenne, qui vivent, se marient, travaillent dans un Etat voisin de leur pays d’origine et se heurtent à d’insupportables tracasseries dans leur vie quotidienne. Leur intervention sera grandement facilitée par la procédure légère que nous avons retenue, et par le formidable développement des réseaux sociaux sur Internet. 1 million de signataires à réunir parmi 400 millions de citoyens majeurs, c’est quand même infiniment plus facile que réunir 4,4 millions de Français parmi les 44 millions de citoyens majeurs en France, condition requise pour déclencher chez nous un référendum d’initiative populaire.  ». «  Une immense boîte à idées est ouverte  » avec cette procédure ajoute-t-il.

Et comme l’indique l‘Association Jean Monnet (AJM) à Paris, «  qui développe, avec le soutien financier du Parlement européen et de la Commission européenne, des activités de formation et d’information sur la construction européenne dans le but de rapprocher l’Europe des citoyens », certaines initiatives ont déjà été lancées. Elle recense 25 initiatives citoyennes qui ont été lancées entre 2004 et 2009 à titre d’expérimentation, pour un avant-goût de l’utilisation de cet « outil démocratique. La première initiative déposée a été lancée par l’ONG citoyenne Avaaz et Greenpeace, le 9 Décembre 2010. Elle concerne l’interdiction des OGM. Elle a été rejetée par la Commission européenne, car la procédure n’était pas encore ouverte. Cependant des initiatives citoyennes pilotes (ou tests) ont déjà été engagées entre 2004 et 2010 , notamment par l’ Association européenne pour la défense des droits de l’Homme en 2004 pour accorder la citoyenneté européenne à tous les résidents de l’UE ou par le Mouvement européen France en 2008 visant à créer un service civil paneuropéen. Enfin des initiatives sont en cours de réalisation : Ainsi, la gauche unie européenne a lancé en mars une initiative sur un Fonds de solidarité européen.

Il demeure que l’ICE pose aussi d’autres problèmes : Bruxelles peut décider de ne pas donner suite à une ICE ayant pourtant rassemblé le nombre suffisant de signatures. Mais Alain Lamassoure tempère les critiques et précise que : «  L’initiative citoyenne n’est pas un référendum. Ce n’est pas une procédure de décision. Il serait d’ailleurs fort peu démocratique de permettre à 0,5 % des citoyens de déclencher automatiquement une action de l’Union sans tenir compte de la majorité silencieuse des 99,5 % autres. La procédure donne aux citoyens ordinaires un vrai pouvoir, qui n’est pas de décider, mais de proposer.  » Un pouvoir de proposition politique qui est égal à celui dont disposent le Parlement européen et les gouvernements représentés au Conseil des ministres.
Par ailleurs, le Médiateur européen peut intervenir pour aider les citoyens par exemple en cas de refus de Bruxelles d’enregistrer une initiative comme il l’a indiqué le 21 mars dernier.

L’ICE peut également être génératrice de contradictions.
Jean-Luc Sauron soulève des questions de fond : «  Quelle serait la portée d’une initiative citoyenne prenant le contrepied d’une législation adoptée en première lecture par le Parlement européen après accord politique avec le Conseil de l’Union européenne ? Les parlements nationaux, qui se sont vus attribuer des pouvoirs conséquents en matière de contrôle du principe de subsidiarité, pourraient trouver à redire à une initiative législative d’origine citoyenne. Qui arbitrerait alors ce conflit ? La Cour de justice ne pourrait assumer ce contrôle qu’en devenant vraiment un organe de régulation constitutionnelle des compétences européennes.  »

D’autres craintes sont exprimées par l’Association Jean Monnet :«  Les personnes qui désirent soumettre une proposition doivent visiblement avoir un minimum de connaissances sur les traités et, de facto, le droit dérivé des traités, voire la jurisprudence de la CJUE. Ce n’est donc pas Monsieur/Madame Tout le monde qui peut se saisir aisément de cet outil. Ça rejoint le problème des compétences aussi.  »
«  Les trois mois pour obtenir le certificat des États relatif à l’authenticité des informations et le mois pour obtenir le certificat de conformité du système en ligne rentre dans les 12 mois de délai pour soumettre l’initiative. Ce qui réduit à 8 mois le temps concret pour récolter les signatures. De plus cela implique que les États soient absolument rigoureux dans la tenue des délais. Ce qui signifie en réalité que les organisateurs doivent intégrer une part de retard due aux administrations qui peut être d’autant plus grande si le nombre d’administrations impliquées est grand  »…  La procédure d’ICE est en effet longue et compliquée.

Une procédure longue

Pour se lancer dans une ICE, il est nécessaire de constituer un comité de citoyens d’au moins sept organisateurs provenant d’au moins sept États membres de l’Union. La proposition est ensuite enregistrée par la Commission européenne, après vérification des documents et de la proposition, sous deux mois, sous un numéro d’enregistrement.

Alain Lamassoure, co-rapporteur du texte au Parlement européen, explique qu’«  il s’agit simplement d’en vérifier la recevabilité juridique. Le traité prévoit que l’initiative intervient dans le champ de compétences de l’Union et doit respecter les valeurs fondamentales de celle-ci, notamment celles qui sont énoncées dans la Charte des droits fondamentaux. Le but de cette formalité, très légère, est simplement de s’assurer que des propositions manifestement contraires aux traités ou, par exemple, à connotation raciste ou xénophobe ne soient lancées par ce biais dans le débat public  ». En clair que par exemple le rétablissement de la peine de mort en Europe soit demandé par des extrémistes !

A l’issue de cette phase, la Commission peut cependant refuser l’enregistrement.
Au moins, un million de personnes doivent soutenir l’initiative. Ces soutiens doivent être reçus dans un délai de 12 mois à partir du moment où l’initiative est enregistrée auprès de la Commission. Ce million de soutiens doit provenir d’au moins un quart des États membres (environ 7 États). 
Chaque État est tenu d’avoir une autorité compétente pour vérifier l’authenticité des déclarations. L’autorité a trois mois pour apporter un certificat indiquant le nombre de déclarations de soutien valable pour l’État concerné. Une fois les certificats obtenus, l’initiative peut être présentée. Dans un délai de trois mois, la Commission européenne présente ses conclusion juridiques et politiques, l’action qu’elle compte entreprendre ou non, ainsi que les raisons d’entreprendre ou non l’action. Si la Commission valide l’ICE, elle entre alors dans le processus décisionnel de l’UE.
La procédure est donc complexe. Cela montre la nécessite pour les citoyens d’être aidés et de s’appuyer sur des organismes bien informés sur l’UE.

Aider les citoyens européens : une nécessité

Or il existe en Europe un réseau d’ONG ou d’Associations expertes sur ces questions. C’est le cas en France de l’AJM dont le directeur, Philippe Le Guen, nous explique les formes de l’appui qu’elle pourrait apporter aux citoyens français : «  Elle peut mettre en relation des citoyens européens intéressés pour constituer un Comité et servir de force d’impulsion dans la mise en connexion des réseaux européens et des citoyens pour obtenir le nombre de signature nécessaire. L’AJM peut servir de relais d’information, d’aide dans la formulation des initiatives et de mise à disposition des ressources intellectuelles. L’AJM pourrait se proposer comme évaluatrice de l’objet de l’initiative, c’est-à-dire de voir s’il appartient ou non au champ de compétences de la Commission  ».

Une aide précieuse face à la complexité d’une procédure qui marque cependant une avancée majeure de l’Europe des citoyens.

 http://www.lemonde.fr/europe/article/2012/03/29/l-initiative-europeenne-citoyenne-une-avancee-democratique-dans-l-ue_1676068_3214.html