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L’image de l’Europe : le cas d’école de l’aide aux plus démunis

Printemps 2011. Coup de tonnerre dans un ciel serein : la Commission européenne annonce qu’elle met un terme au programme d’aide alimentaire aux plus démunis. Depuis de longues années, ce programme aidait puissamment les organisations humanitaires telles que les Banques alimentaires, Restos du cœur, Secours catholique et autres institutions charitables, religieuses ou laïques. En France, l’indignation est unanime : encore un coup de la technocratie bruxelloise insensible à la misère du peuple et, qui plus est, en pleine crise économique ! Comment expliquer une telle décision ?

Retour en arrière. Nous sommes dans les années 70. La politique agricole commune de l’époque génère de formidables excédents : fleuves de lait, montagnes de beurre, et même carcasses de viande que, faute de place, l’on est obligé de conserver congelées dans des navires frigorifiques à quai. L’idée vient naturellement de faire don de ces produits à des populations en détresse alimentaire en Afrique. Puis en Europe même, quand apparaît ce qu’on appelle la « nouvelle pauvreté ». L’Europe met alors en œuvre le programme alimentaire d’aide aux plus démunis, dont la France est immédiatement le principal bénéficiaire.

Les années passent. La réforme de la P.A.C. a permis de trouver d’autres moyens de soutenir le revenu des agriculteurs et de supprimer les excédents. Toutefois, le programme d’aide alimentaire a rencontré un tel succès qu’on le maintient : les 500 millions d’euros qui y sont consacrés sont affectés à l’achat de produits alimentaires dans les supermarchés, pour distribution gratuite aux organisations humanitaires.

2008. Certains de nos partenaires, qui contribuent à financer le programme sans l’utiliser eux-mêmes protestent contre l’affectation de crédits de soutien de l’agriculture européenne à une action sociale qui, d’après les traités européens, relève de la compétence directe des Etats (voire des collectivités locales). Ils saisissent la Cour de Justice européenne, qui ne peut que leur donner raison. La décision de la Cour intervient au printemps 2011, obligeant la Commission européenne à interrompre son action.

Automne 2011. Sous la pression conjuguée du Parlement européen et de la France, l’Allemagne se laisse convaincre d’accepter la reprise du programme jusqu’à la fin 2013, date fixée pour une révision de toutes les politiques européennes, y compris la politique agricole et les actions sociales. La poursuite de l’aide au-delà de 2013 est évidemment un des points à débattre dans le cadre de cette négociation, qui a déjà commencé. Mais les deux hivers prochains sont assurés.  

1er décembre 2011. Le Parlement européen vote le budget 2012 en rétablissant les crédits du programme. Le même jour, en France, s’ouvre la campagne d’hiver des organisations caritatives : tous les médias font leur « une » sur celle-ci, en évoquant l’action de Coluche et en relayant les appels à la générosité publique. Très bien. Mais personne ne rappelle que cette campagne aurait été impossible sans le soutien massif du budget européen (80 millions, rien que pour la France), c’est-à-dire des contribuables de tous nos partenaires, depuis l’Allemagne jusqu’à … la Grèce. Qui plus est, un soutien acquis au plus dur de la crise financière !

Décidément « merci l’Europe ! » est un mot qui nous écorche la bouche. Et voilà comment on ne cesse de rendre l’Europe impopulaire en taisant ce qu’elle nous apporte, jusqu’au jour où elle ne peut plus le faire.

  Alain LAMASSOURE, le 14 janvier 2011