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Présidentielle : parole à la défense !

S’il est un domaine de responsabilité prééminente du Président de la République, c’est bien la défense. Curieusement, à cent jours de l’élection présidentielle, le sujet est complètement absent du débat. Primaires, meetings : quel candidat en a jamais parlé ? Il est grand temps d’en rappeler les enjeux.

La France est restée une puissance militaire nucléaire. Elle a même amélioré qualitativement son arsenal stratégique, et le laser mégajoule lui permettra bientôt de concevoir des armes nouvelles sans recourir à des explosions expérimentales. Cet arsenal coûteux a été hérité de la guerre froide : qu’en attendons-nous dans ce siècle si différent ? Qui voulons-nous dissuader de quoi ? L’effet dissuasif doit-il être limité à des menaces contre la seule France : si oui, lesquelles ? Peut-il protéger aussi nos partenaires européens, et si oui, comment, dans quelle cadre et à quelles conditions ? Puisque cet arsenal existe, en quoi un bouclier antimissile américain, tel qu’envisagé au dernier sommet de l’OTAN, ajouterait-il à notre sécurité ? Si on continue de l’améliorer, quels arguments peut-on opposer aux Etats non nucléaires qui sont tentés de se doter de la Bombe, dans une période où la prolifération est la menace majeure contre la paix dans le monde ? Mesdames, messieurs les candidats, ne nous répondez pas tous en même temps. Mais ne venez pas nous dire que ces questions sont anodines.

D’autre part, les dépenses militaires seront évidemment les premières concernées par les économies budgétaires lorsqu’en juin prochain, le vainqueur de l’élection devra remplacer le rabot par la hache : la France n’a plus d’ennemi déclaré, elle rapatrie ses soldats d’Afghanistan, la menace terroriste relève désormais d’autres types de réponses. Coïncidence frappante : le déficit du budget de l’Etat en 2011 est égal, quasiment à l’euro près, au montant des trois ans de dépenses militaires prévues pour la période 2011-2013 : 95,3 milliards.

Enfin, dans ce contexte, la défense est une des clefs de la relance européenne si nécessaire. Car tous nos partenaires, placés devant la même contrainte, s’engagent eux aussi dans des coupes budgétaires spectaculaires. Dès lors, il y a deux manières d’envisager ces économies. La première, c’est le chacun pour soi : chaque pays réduit le nombre de ses unités, de ses blindés, de ses bateaux, de ses avions ; la facilité est tentante, mais elle déboucherait bien vite sur un résultat piteux – 27 armées d’opérette, encore plus coûteuses qu’auparavant si on les rapporte à leur efficacité potentielle. La seconde méthode, c’est de mettre à profit cette contrainte commune sans précédent pour bâtir enfin l’Europe de la défense : préciser ensemble les menaces qui pèsent aujourd’hui sur le continent européen ; définir ensemble les moyens nécessaires pour y faire face ; mettre en commun un maximum de moyens et se partager les rôles aux trois niveaux de la recherche, de l’industrie et des forces opérationnelles.

Nous ne partons pas de zéro : voilà vingt ans que nos soldats ont multiplié les missions multinationales sur les théâtres les plus divers ; EADS, Eurocopter, ATR, MBDA, Thalès Alenia Space ont acquis une culture industrielle européenne ; les organes et les procédures existent, du Haut-Représentant à l’Agence européenne de Défense et à l’état-major européen. Nos opinions publiques y sont prêtes : voilà plus de dix ans qu’à tous les sondages « eurobaromètres » le principe d’une politique de défense commune est plébiscité par plus des trois quarts des personnes interrogées. C’est enfin la condition de survie de certains de nos trop rares fleurons industriels : en particulier, notre industrie aéronautique et spatiale.

Or, dans ce domaine, aujourd’hui, tout repose sur la volonté française. Sur ce sujet-là, l’Allemagne ne se sent pas encore légitime : elle accompagnera, mais elle aura du mal à assumer une part de leadership. De son côté, l’Angleterre sait ce qu’elle ne veut pas, mais elle ne sait plus où se situer : il lui faudra encore un peu de temps pour comprendre qu’elle est décidément, définitivement, en Europe.

 Il y a quelques années, les dispositions pertinentes du traité de Lisbonne ont été fortement inspirées par la France pour permettre à tous les pays européens qui le souhaitent, de jeter les bases, le moment venu, d’une défense européenne.

Ce moment est venu. En 2007, Nicolas Sarkozy a été élu Président de la République en annonçant qu’il négocierait avec les Américains un retour de la France dans l’organisation militaire de l’Alliance atlantique, en contrepartie d’un soutien de Washington à l’émergence d’une défense européenne commune. Nous sommes revenus dans l’OTAN. Il nous faut maintenant bâtir enfin l’Europe de la défense.

                                                                                                    Alain LAMASSOURE, le 9 janvier 2012