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« SOS : Europe cherche hommes d’exception ! » – Article de Marie-Alix Riou Jeunes européens Lille pour le Taurillon

« J’ai essayé de faire les choses sérieusement, sans jamais me prendre au sérieux m’a dit J. Monnet, juste avant de s’éteindre en 1979. C’était un homme de l’ombre, hanté par l’envie d’avoir des idées neuves et guidé par la certitude que les nations ont toujours, sans le savoir, des intérêts communs » se rappelle Jacques- René Rabier, ancien chef de cabinet de Jean Monnet. Avant d’évoquer pêle-mêle, les efforts de celui-ci pour la création d’un Comité des transports maritimes contrôlant tous les navires alliés et chargés du ravitaillement pendant la première guerre mondiale, ou encore, ceux déployés pour faire naître un gouvernement franco-britannique en juin 1940, alors que la France est en pleine débâcle militaire.

« Sans Monnet, il n’y aurait pas eu de plan Schuman, sans Schuman, il n’y aurait pas eu la CECA.»  Au cours de l’hiver 1949-1950, les Américains font pression sur le gouvernement français pour que celui-ci accepte le réarmement de l’Allemagne. Robert Schuman est alors ministre des Affaires étrangères et doit choisir entre un réarmement inacceptable aux yeux de nombreux français et un refus inenvisageable à opposer aux Américains qui craignent qu’une Allemagne démilitarisée finisse par tomber dans le giron soviétique. Jean Monnet propose alors « une idée folle à la Monnet » et présente à Schuman son projet : mettre en commun les productions françaises et allemandes de charbon et d’acier.  Si Jacques-René Rabier ne travaillait pas encore avec Jean Monnet, il était présent, au salon de l’horloge et se rappelle avec émotion la déclaration qui donna naissance à la CECA. Nous sommes le 9 mai 1950, moins de 5 ans après la fin de la seconde guerre mondiale.

« La méthode Monnet ? C’est une méthode qui consiste à choisir son moment et les hommes politiques de bonnes volonté, capables de prendre l’initiative de porter des idées audacieuses» poursuit celui qui fut pendant plus de 35 ans le collaborateur, puis l’ami de Jean Monnet. Alors qu’il travaille au Commissariat général au Plan de modernisation, Jacques-René Rabier observe « du bureau d’à côté », les idées révolutionnaires que porte le Commissaire Général au Plan sur l’évolution du continent européen. « Un jour, Jean Monnet m’appelle dans son bureau et me demande de devenir son directeur de cabinet. Etonné, je lui demande si je saurais faire l’affaire. Je ne le connais presque pas et lui encore moins.  Il me répond que si d’avenir il était déçu, il saurait me le faire savoir…il  me l’a jamais dit ».  C’est le début d’une longue collaboration, parfois entrecoupée par la distance et qui mena les deux hommes de Paris à Luxembourg, du Luxembourg à Bruxelles.

A 92 ans, Jacques- René Rabier est la mémoire vivante d’une époque où Jean Monnet « un homme de l’ombre qui savait s’effacer et agir en tout désintéressement personnel» a inventé des idées neuves, des idées folles et souvent contraires à ce que semblait dicter le bon sens général. A l’heure où la construction européenne vacille sur ses fondations, il nous faut des hommes et des femmes capables de porter un projet politique pour l’Europe. Sinon, le risque est grand de voir l’édifice s’effondrer. La conviction qui a animé Jean Monnet toute sa vie a-t-elle finit d’être valable ? « Les nations ont toujours, sans le savoir, des intérêts communs ».

Juste après cet entretien, hasard ou coïncidence, Alain Lamassoure donnait à Bruxelles, une conférence intitulée « l’Europe vit au dessous de ses moyens. » «Tous les Etats membres de l’Union européenne, sans exception, vivent largement au-dessus de leurs moyens, l’Europe, elle vit au-dessous de ses moyens» a-t-il ironisé. L’occasion pour lui de rappeler que depuis le Sommet européen de Fontainebleau en 1984, le budget de l’Union européenne n’a cessé de diminué en proportion du PIB tandis que les compétences de l’Union, elles, devenaient de plus en plus nombreuses. « Comment être efficace lorsque l’on n’a pas d’argent ? », s’interrogeait-il avant de poursuivre « Je suis allé visiter l’Agence Frontex la semaine dernière. Cette agence n’a pas un sou. Tous les ans, le gouvernement français fait passer une nouvelle loi sur l’immigration, une agitation sans fin qui traduit surtout son impuissance : la solution à l’immigration ne peut être apportée que collectivement, au niveau européen. » Puis de poursuivre sur l’exemple énergétique évoquant la dépendance de l’Allemagne à la France et de ces deux pays à la Russie, sur le besoin d’une défense commune européenne, alors que la guerre en Libye prouve encore l’incapacité de nos gouvernements à mener seuls une guerre et les pousse, sur le terrain, à une coopération toujours plus étroite.

Le grand enjeu de l’Union européenne pour demain sera donc budgétaire. Il s’agit de donner à l’Europe les moyens financiers à la hauteur de ses compétences. Et justement les négociations portant sur le nouveau cadre financier multi-annuel (qui fixe la perspective des évolutions budgétaires de l’UE pour les 7 ans à venir) viennent de s’ouvrir. En avril 2011, trois députés européens Jutta Haug, Alain Lamassoure et Guy Verhofstadt publiaient un rapport proposant de réformer radicalement la manière de financer le budget de l’Union européenne. Les députés proposent de revenir à l’esprit des traités et que l’UE soit financée, pour toutes les politiques communes, sur des ressources propres, via la taxe Tobin, la taxe carbone ou encore 1 ou 2 point de TVA.

Avant d’évoquer cette idée qui paraît simple et lumineuse : que chaque Semestre Européen (aujourd’hui une rencontre à huis clos entre les ministres du budget de l’UE et la Commission européenne pour vérifier que les budgets établis par les pays membres leur permettent de respecter leurs engagements en matière de déficit budgétaire) soit l’occasion d’un grand débat démocratique, où les Etats, en présence de parlementaires européens et nationaux, se penchent sur les dépenses, mais également les investissements d’avenir des pays membres de l’UE. « Si l’on se penche collectivement sur nos dépenses et nos investissements, on ne pourra que s’apercevoir qu’il existe de nombreux postes sur lesquels des économies sont possibles. On pourra  économiser 1,2,3 voire 27 euros en mutualisant nos dépenses. Un euro bien dépensé à Bruxelles permet de faire des économies dans les Etats membres. « Pourquoi avoir besoin de 27 agences sanitaires et d’une 28ème européenne? » s’interroge-il, en prenant un exemple parmi d’autres. Et quel meilleur moyen de faire des coupes budgétaire intelligentes, sans compromettre nos investissements d’avenir ? Une solution qui aurait également l’avantage de faire primer la démocratie sur la décision secrète, à l’heure où l’Europe est vécue comme une menace dont les décisions sont imposées d’en haut et non comme une chance.

Une question de bon sens, une idée folle à la Monnet…

Marie-Alix Riou

Jeunes européens Lille