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Deux éditoriaux de Ferdinando Riccardi parus dans l’Agence Europe sur les propositions de la Commission sur les perspectives financières 2014-2020, 12 et 13 juillet 2011

12 juillet 2011: Le débat sur les perspectives financières 2014/2020 se poursuivra jusqu’à la fin de l’année prochaine – Le profil de l’UE en sortira transformé

« Signification véritable. Le débat sur le deuxième grand défi de l’Europe, aussi important que celui sur l’avenir de l’euro, s’est ouvert dans les meilleures conditions possibles. Je me réfère aux Perspectives financières de l’UE pour la période 2014-2020 et pas seulement aux budgets, afin d’éviter une image réductrice de la signification de ce dossier. Il est vrai que l’objectif concret est de définir ce que seront les sept budgets communautaires de la période couverte pas ces perspectives ; mais leurs implications vont tellement plus loin ! Elles créeront des ressources propres communautaires, permettant à l’UE de s’autofinancer largement sans plus baser son fonctionnement, pour l’essentiel, sur les contributions des États membres ; elles orienteront l’activité communautaire future dans son ensemble, en déterminant le degré de soutien aux différentes politiques communes, aussi bien sur le plan interne que dans les relations avec les pays tiers ; elles supprimeront les rabais consentis aux contributions de certains États membres et quelques autres anomalies qui se sont accumulées au cours des années. Les nouvelles perspectives financières changeront le profil de l’Europe, en définissant l’esprit et la nature de l’UE de demain.

Début encourageant. Pourquoi je considère que les négociations, qui vont se prolonger pendant au moins un an et demi, ont démarré dans des conditions favorables ? Essentiellement pour trois raisons: a) la Commission européenne a présenté des propositions audacieuses et innovantes ; b) la réaction d’une très large majorité du Parlement européen a été nettement positive, ainsi que celle d’organismes comme le Comité des Régions ; c) l’attitude de plusieurs États membres est favorable, même s’ils restent prudents parce que conscients que d’autres gouvernements ont une position opposée et que l’unanimité sera nécessaire ; en outre, pour un aspect essentiel, celui des recettes, il faudra passer par la ratification des 27 parlements nationaux.

Il est facile de comprendre à quel point la discussion entre les États membres et la recherche des compromis sera ardue. Mais n’anticipons pas. Pour le moment, c’est le présent qui compte: le document de la Commission et la réaction du Parlement.

Évolution du président de la Commission. L’attitude de M. Barroso a étonné ceux qui avaient gardé l’image d’un président largement soumis à la volonté des grands États membres, alors qu’il a sensiblement évolué. Aujourd’hui, lorsqu’il est convaincu qu’un projet est positif pour le progrès de l’Europe, il le présente et le défend avec fermeté et habileté. La semaine dernière à Strasbourg, même des groupes politiques qui d’habitude ne lui épargnent pas les critiques l’ont largement soutenu.

Mais je ne vais pas refaire l’histoire d’événements dont nos lecteurs ont été régulièrement informés. Au début du mois, notre bulletin n° 10409 a publié un résumé d’ensemble du document de la Commission, avec une analyse spécifique des ressources propres envisagées et les premières réactions. Ensuite, le bulletin
n° 10411 a fourni des indications spécifiques sur le volet agricole, et à la fin de la semaine dernière le bulletin n° 10413 a rendu compte de la présentation du document par M. Barroso devant l’hémicycle et de l’essentiel du débat parlementaire. Le lecteur y a trouvé toutes les informations appropriées et il peut toujours les consulter ; j’ajoute quelques remarques, en m’appuyant sur trois prises de position significatives.

Ce sont eux qui le disent. Alain Lamassoure, président de la commission des budgets du PE, a souligné que la nouvelle ampleur envisagée des ressources propres de l’UE représente un pas historique que le PE demandait depuis quatre ans, et que le versement à l’Union d’un point de la TVA avait été accepté en son temps même par Mme Thatcher. Ainsi, «la logique infernale du juste retour est enfin remise en cause, car tous les États membres payeront moins ». Daniel Cohn-Bendit a insisté sur l’exigence d’expliquer clairement aux citoyens que la taxe sur les transactions financières ne pèsera pas sur les épaules des citoyens, mais sur celles « des institutions financières qui profitent pleinement de l’unité européenne». Guy Verhofstadt a affirmé avec élan: «Il y a un an parler concrètement de ressources propres et de taxe Tobin aurait paru impossible!».

Pourquoi ces citations ? Parce qu’elles me permettent d’éviter mon refrain habituel selon lequel la construction européenne traverse une période créative, que les historiens de demain considéreront comme le foyer d’avancées historiques. Cette fois, ce sont Guy Verhofstadt, Alain Lamassoure et Daniel Cohn-Bendit, appartenant à trois groupes parlementaires différents, qui le disent. Quel soulagement !

À demain pour quelques remarques plus techniques et pour le «projet Lamassoure». »

13 juillet 2011: Nouvelles perspectives financières: comment sauver le projet Barroso ?

« La seule réponse. Que répondre aux États membres qui s’opposent par principe à toute expansion des dépenses communautaires pour la période 2014-2020 ? La position restrictive est logiquement conduite par les pays dont la contribution nette (différence entre ce que chaque pays verse au budget communautaire et ce qu’il en reçoit) est la plus élevée: ils estiment que dans un moment où ils sont obligés de réduire leurs dépenses publiques nationales, une austérité analogue s’impose au niveau européen. La réponse valable serait de démontrer que les perspectives financières proposées par la Commission n’augmentent pas les contributions des États membres aux dépenses communes et qu’elles apportent à tous des avantages. C’est l’effort de la Commission européenne et de la large majorité du Parlement européen (voir cette rubrique d’hier).

M. Barroso a soutenu avec conviction et éloquence que: a) les propositions de la Commission ne coûteront pas aux contribuables européens davantage que le budget actuel de l’UE; b) un euro bien dépensé au niveau européen signifie une économie au niveau national et évite les duplications ; c) les ressources propres permettront d’empêcher toute augmentation des contributions nationales ; d) les ressources seront largement concentrées sur la croissance économique et l’emploi ; e) les objectifs seront liés ; par exemple, les financements à l’agriculture contribueront à la protection de l’environnement ; f) l’expansion des crédits consacrés aux domaines prioritaires sera compensée par la réduction d’autres dépenses.

Le projet Lamassoure. Il est toutefois évident que les explications ne réduisent pas les réticences qui, dans quelques cas comme celui du Royaume-Uni, ont le caractère d’une ferme opposition, alors que l’unanimité des États membres est nécessaire, ainsi que, pour le volet « recettes », la ratification de tous les parlements nationaux. Conscient de cette situation, le président de la commission « budgets » du PE, Alain Lamassoure, a lancé l’idée d’une grande Conférence financière européenne. Je lui laisse la parole: « Comment transformer 27 ministres hostiles en 27 pays favorables ? C’est une alchimie qu’il va falloir inventer. D’où l’idée de préparer cet exercice redoutable par le débat public le plus large et le plus ouvert possible, en réunissant une Conférence financière européenne qui associerait toutes les forces politiques de nos États membres ». Les parlements nationaux doivent y participer, et M. Lamassoure explique pourquoi: « C’est la méthode de la Convention européenne: il y a plus de dix ans, elle avait transformé les plus durs blocages ministériels en consensus européen ». Et il a ajouté que « la présidence polonaise en a accepté le principe », en concluant: « La météo de l’Europe ne se réduit pas aux orages grecs.» (Citations d’un texte qui vient de paraître dans Interface, bulletin mensuel de « Confrontations Europe »).

M. Lamassoure est évidemment conscient de l’impossibilité pour le projet Barroso de recueillir dans le cadre communautaire l’unanimité des États membres et qu’il faut trouver une autre voie dans laquelle les parlements nationaux soient directement impliqués. Elle est heureusement finie, la période de rivalité entre ces parlements et le Parlement européen ; lorsqu’il s’agit de définir et décider l’orientation de l’avenir de l’UE, les parlements nationaux doivent être directement impliqués.

Les incertitudes subsistent. Le chemin sera de toute manière bien malaisé. La présidence polonaise aura tout juste le temps d’ouvrir le débat (même si elle s’efforce de multiplier les travaux préparatoires), et il est difficile d’anticiper ce que sera le comportement des deux présidences qui conduiront les phases ultérieures, c’est-à-dire le Danemark (où l’on constate une poussée de nationalisme) et Chypre (dont le poids politique au niveau européen constitue un point d’interrogation). N’oublions pas que: le document Perspectives financières de la Commission a été qualifié d’irréaliste par le Royaume-Uni ; selon Berlin, il va nettement au-delà de ce que le gouvernement allemand juge supportable ; pour la France, la stabilisation de sa contribution au budget communautaire est indispensable. Les difficultés que rencontrent divers aspects du projet Barroso sont innombrables, j’en cite deux à titre d’exemple: le président de la Banque centrale européenne rejette l’idée de la taxe sur les transactions financières si elle est appliquée seulement dans l’UE, car le résultat serait de déplacer ces transactions hors d’Europe ; la création d’une «catégorie intermédiaire» de régions à soutenir, dont le PIB par habitant se situe entre 75% et 90% de la moyenne communautaire, est incompatible avec l’adhésion de la Turquie, car ces régions sortiraient de la liste de celles éligibles à la politique régionale.

M. Lamassoure a raison: par les procédures normales, l’unanimité serait un rêve. Il faut innover. »