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Discours de clôture de la conférence financière européenne, à Bruxelles le 21 octobre 2011

« Cette réunion est une première. Ce n’est pas un processus parallèle de négociation sur le prochain cadre budgétaire européen : cette négociation a commencé ; elle se déroule selon la procédure mise au point entre le trio des présidences et une délégation du Parlement européen. Mais il s’agit d’éclairer les choix à faire par le plus large débat public, ouvert à toutes les parties prenantes et surtout aux élus de tous les peuples d’Europe. Comme tel, c’est une première. Et son succès nous donne l’assurance que ce sera un précédent.

Le traité de Lisbonne a donné des pouvoirs nouveaux aux parlements nationaux. Mais, curieusement, dans un esprit de méfiance : ils disposent désormais d’un droit de regard sur tous les projets européens et d’une forme de police envers ceux de ces projets qui ne respecteraient pas le principe de subsidiarité. De manière très intéressante, beaucoup de parlements nationaux se servent de ce pouvoir de manière constructive, pour apporter une contribution positive aux textes mis sur la table. C’est ce qu’on a vu tout  récemment sur des sujets aussi différents que la fiscalité des groupes, le droit des consommateurs, la lutte contre les violences faites aux enfants.

Nous franchissons aujourd’hui une étape supérieure. Les représentants des parlements nationaux sont invités à donner leur sentiment sur le budget communautaire et, au-delà, sur le financement, y compris par eux-mêmes, des objectifs communs européens : les budgets nationaux sont quarante fois supérieurs au budget de l’Union, sans leur mobilisation nous n’avons aucune chance d’atteindre les objectifs que nos propres dirigeants se sont assignés à eux-mêmes.

Dans le contexte dramatique de la période que nous vivons, soumis à une sorte de stress test par les opérateurs financiers, nous devons apporter la preuve de notre capacité à mettre en œuvre une solidarité budgétaire : non pas en transférant des dépenses nouvelles au budget européen, mais en assurant la cohérence et la convergence de nos 28 budgets conformément à nos objectifs communs de retour à la croissance et à la compétitivité.

Je retiens quelques enseignements pratiques et politiques de cette première rencontre.

1 – Une conférence sur un tel sujet avec de tels participants doit être ouverte au public et retransmise de bout en bout. Par définition, les élus du peuple ne discutent pas à huis clos.

2 – Tous les participants n’ont pas pu prendre la parole, et beaucoup de parties prenantes ou de citoyens nous ont questionnés par mails : il faut créer un site dédié à la poursuite de l’échange.

3 – Une prochaine fois, prenons le temps d’écouter les témoignages de ceux d’entre vous dont le pays a traversé des périodes de crise difficiles, où il fallait à la fois revenir à la discipline budgétaire et préserver les dépenses d’avenir : je pense à la Suède, l’Autriche, la Finlande, ou la Belgique du « Grand Plan » de Jean-Luc Dehaene et de son ministre du Budget, un certain Van Rompuy. Un des intérêts sous-estimés de la participation à l’Union européenne, c’est de pouvoir bénéficier de l’expérience des autres.

4 – La prochaine fois, nous devons trouver une date qui convienne mieux à tout le monde. Inviter des membres des commissions des finances en période de sessions budgétaires n’était pas une initiative très heureuse. La nouvelle procédure du semestre européen peut-elle faciliter cette recherche d’une date idéale ?

5 – Comment mieux associer à nos échanges les collectivités locales ? Après tout, en moyenne, elles financent 70% des investissements publics dans l’ensemble de l’Union. Le Comité des régions était présent et très actif, mais cela suffit-il ?

6 – Avis à la Commission et aux think tanks : nous manquons de certains outils scientifiques. Ainsi, la consolidation comptable de tous les comptes publics de l’Union, ses Etats, ses régions, n’a jamais été faite. Comment juger du « policy mix » en Europe, et le comparer avec la politique américaine si nous ignorons, comme c’est le cas aujourd’hui, si, finalement, la politique budgétaire de ce côté-ci de l’Atlantique a un effet anti-récessif ou anti-inflationniste ?

De même, il faut commencer à faire des études d’impact budgétaire de toutes les décisions importantes que nous prenons à Bruxelles. Nous savons évaluer leurs conséquences sur le budget européen proprement dit, mais nous ne nous soucions guère de l’impact sur les budgets nationaux ou locaux. Certaines lois européennes ont un effet négatif : elles coûtent cher. Je pense à tout le domaine de l’environnement, et toutes les règles relatives à la sécurité dans tous les domaines. Mais d’autres ont des effets positifs potentiels : quand on crée une agence à Bruxelles, on doit pouvoir chiffrer l’ordre de grandeur des économies possibles dans les 27 pays. Peut-être le réseau des Cours des Comptes pourrait-il être mobilisé pour des études de ce genre.

7 – Si la méthode se révèle intéressante pour les problèmes budgétaires, ne mérite-t-elle pas éventuellement d’être étendue à d’autres sujets ? Je sors ici de mon domaine, mais je remarque que, chaque fois que nous nous trouvons dans des domaines sensibles de compétence partagée entre l’Union et les Etats membres, nous gagnerions à mettre dans la même salle tous les élus responsables. Au printemps, un grand pays européen a décidé de réduire de 20% sa capacité de production électrique. Cette décision unilatérale aura des conséquences considérables pour ses voisins, et elle remet en cause la politique communautaire de lutte contre les changements climatiques : dans un cas de ce genre, pourquoi ne pas réunir les élus nationaux concernés, les députés européens compétents, la Commission européenne et en parler ensemble ? Il y a quelques mois, mon propre pays, puis le Danemark, ont décidé unilatéralement de suspendre l’application des accords de Schengen. Quand un différend apparaît ainsi, sur l’application du droit européen, entre des pays frontaliers, où se pressent les immigrants, et les pays qui sont les destinataires finals de ces exilés, pourquoi les députés français et italiens n’en parlent-ils pas ensemble, avec les autorités européennes et les parlementaires européens en charge de ces sujets ? Au lieu de se lancer dans des polémiques stériles, aux accents d’un nationalisme désuet.

Après cinquante ans de construction européenne, nous avons aboli toutes les frontières entre nous : les marchandises, les services, les capitaux, les informations circulent librement. Tous les murs sont abattus. Sauf les murs de verre qui continuent de cloisonner hermétiquement nos débats politiques. Même lorsqu’il s’agit de la politique européenne, nous n’en parlons que sous l’angle national, dans le seul cadre national, avec le biais national. Sans que jamais personne ne soit le porte-parole de l’intérêt de la famille européenne. Notre rencontre a permis de percer ces murs, de commencer de les raboter. Continuons ! Les parlements nationaux sont entrés dans le débat européen, ils n’en sortiront plus ! »

Alain LAMASSOURE