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Interview publiée sur le site du Cercle des Européens, le 21 juillet 2010

Gouvernance économique européenne : « Il est temps de sortir du virtuel »

21 juillet 2010

Interview d’Alain Lamassoure, Député européen (1989-1993 et depuis 1999), Président de la Commission des Budgets, Vice-président et porte-parole de la délégation française du Groupe PPE. Alain Lamassoure a été Ministre délégué au Budget entre 1995 et 1997 et Ministre délégué aux Affaires européennes de 1993 à 1995.

Les Ministres de l’Economie et des Finances des 27 ont proposé de priver les Etats trop laxistes en matière budgétaire de certaines subventions européennes. Alors que des sanctions financières existent déjà en cas de non respect des règles du Pacte de stabilité, ces nouvelles mesures vous semblent-elles de nature à éviter une nouvelle crise grecque ?

Il s’agit en effet d’une idée parmi beaucoup d’autres et j’observe d’ailleurs que la Commission européenne – qui tient beaucoup à son monopole d’initiative -, le Conseil des ministres et le Conseil européen se livrent à une sorte de surenchère de propositions dans ce domaine. Or, c’est le groupe de travail sur la gouvernance – appelé Task force –, avec à sa tête le Président du Conseil européen et regroupant l’ensemble des ministres de l’Economie et des Finances (cf dernière réunion du 12 juillet), qui selon la procédure adoptée, doit remettre un rapport en octobre pour proposer un dispositif.

Une telle mesure ne me choque pas du tout. J’y serais même favorable mais à condition toutefois qu’elle ne soit pas liée au non respect du pacte de stabilité mais à la mise en œuvre du mécanisme de stabilisation européen adopté le 10 mai dernier. Je m’explique. L’Union européenne joue en tant que telle un rôle central dans ce mécanisme puisqu’elle a la possibilité d’emprunter sur les marchés financiers à hauteur de 60 millions d’euros, avec la garantie du budget européen, pour ensuite accorder des prêts aux Etats en difficulté. C’est dans ce cadre communautaire que l’on devrait pouvoir utiliser des fonds structurels ou d’autres crédits communautaires comme gage au remboursement de l’emprunt dont aurait bénéfice l’Etat. J’avais lancé cette idée lors de la crise grecque, mais la nature interétatique du plan d’aide financière qui a finalement été adopté le 7 mai a rendu cette option quasi impossible. Si la voie communautaire avait été choisie et en cas en cas d’incapacité de la Grèce à rembourser le prêt accordé, une partie des fonds structurels que reçoit le pays aurait pu être retenue. Sur une période de sept ans, ces fonds représentent environ 25 milliards d’euros. Cette solution aurait eu l’avantage de rassurer nos amis allemands très réticents à l’idée de consentir une aide financière à la Grèce.

Paris et Berlin veulent aller plus loin et prônent la suspension du droit de vote au Conseil des pays laxistes. Qu’en pensez-vous ?

Ce n’est à mon sens pas réaliste du tout. En revanche, à partir du moment où un pays ne respecte pas les engagements qu’il a pris lui-même devant les autres, ni les disciplines communautaires inscrites dans les traités et dans le pacte de stabilité et de croissance, il pourrait se voir retirer le droit de vote mais uniquement sur les questions budgétaires. Cette sanction aurait une certaine logique et constituerait déjà une arme de dissuasion relativement forte. Mais il serait totalement injustifié de vouloir mettre un pays au ban du système en le privant de son droit de vote concernant les autres sujets abordés au sein du Conseil.

Le Parlement européen est-il associé aux discussions sur la gouvernance économique et quelles positions défendez-vous ?

Nous avons tenu à ce que le Parlement européen soit étroitement associé aux travaux du groupe de travail présidé par Herman Van Rompuy. Ce dernier est d’ailleurs venu une première fois au Parlement au mois de juin pour entendre une très importante délégation parlementaire comprenant tous les présidents de groupes politiques ainsi que les présidents des commissions concernées par ces sujets. Nous avons eu deux heures de débats extrêmement riches et deux autres rendez-vous sont prévus à la rentrée. Le Parlement européen aura donc une véritable force de proposition.

Nous plaidons également pour une introduction des parlements nationaux dans ces mécanismes de gouvernance. La valeur ajoutée du Parlement européen par rapport à ce qui se prépare au sein du Conseil européen ou de l’EcoFin est de placer les Etats face à leurs responsabilités en leur disant : si vous voulez vraiment une coordination budgétaire, il faut associer les parlements nationaux.

Les parlements nationaux ont justement vivement réagi à la proposition de la Commission européenne d’examiner en amont les projets de budgets nationaux. Une telle mesure vous semble-t-elle acceptable ?

Les politiques budgétaires constituent le cœur des compétences des parlements nationaux. Il est donc inconcevable de dire qu’ils seront désormais fortement contraints par une décision prise à Bruxelles par la Commission ou par quiconque d’autre. On a voulu faire peur en laissant penser que la Commission surveillerait les budgets nationaux, mais cela ne sera évidemment pas la décision qui sera retenue. Les chefs d’Etat et de gouvernement n’ont de même aucune légitimité pour s’enfermer à huis clos et décider entre eux des grandes orientations budgétaires de chaque Etat membre.

Si l’on souhaite véritablement cette coordination budgétaire européenne, il est impératif d’associer les parlements nationaux du premier au dernier jour et de mettre en place une procédure nouvelle, totalement transparente et démocratique.

Je propose pour cela que les parlements nationaux des 27 Etats membres ainsi que le Parlement européen tiennent ensemble un grand débat sur les orientations budgétaires, à chaque printemps, dans le cadre du « semestre européen » proposé par la Commission . Cette réunion pourrait avoir lieu à Bruxelles où dans le pays de la présidence tournante. Je privilégie pour ma part une réunion en vidéo transmission qui permettrait à chacun de rester chez soit et aux médias nationaux de couvrir l’événement. Le simple fait d’engager cette discussion obligerait les Etats et les autorités européennes à partir des mêmes hypothèses économiques. A l’heure actuelle, chaque pays à ses propres évaluations et la Commission européenne fait semblant de ne pas voir ces divergences. Il y a dans le système actuel un nombre de mensonges implicites qui est assez saisissant. Le fait de communautariser les prévisions constituerait déjà quelque chose de révolutionnaire. La France ne pourrait pas par exemple baser sa réforme des retraites sur des prévisions de croissance de 2,5% en 2011, qui sont jugées irréalistes par les autorités européennes ou par le FMI.

Lors de ce débat, chacun des Etats serait de plus amené à dire comment il envisage de respecter les disciplines communautaires et à expliquer au delà de son solde budgétaire ou de sa dette, quelle sera sa part de financement des objectifs européens communs (recherche, éducation, nouvelles technologies,…). Les institutions communautaires seraient amenées à faire de même pour le budget européen. Nous aurions à partir de là le lancement d’un véritable débat public sur la coordination budgétaire et les objectifs budgétaires européens. L’idée du débat commun d’orientation budgétaire n’est qu’une première proposition, la suite reste à inventer.

Vous défendez une augmentation du budget européen qui représente actuellement à peine plus d’1 % du revenu national brut (RNB)de l’Union et qui stagne depuis des années. Avec quelles ressources et pour quels objectifs ?

Je ne défends pas exactement une augmentation du budget européen. J’observe que le budget européen est désormais totalement déconnecté des compétences de l’Europe et que c’est un domaine dans lequel l’Europe a régressé, ce dont trop peu de gens ont conscience.

Je rappelle que la dernière fois que la problématique du budget européen a donné lieu à un débat de fonds, avec d’ailleurs une négociation très dure, c’était lors du Conseil européen de Fontainebleau en 1984, soit il y a un quart de siècle. C’est à cette époque qu’a été fixé à 1,24% du revenu national brut de l’Union (RNB) le plafond dit des « ressources propres » du budget européen. Or, entre temps il y a eu quatre nouveaux traités, les compétences de l’Union ont été étendues et le nombre d’Etats membres à doublé. Mise à part l’Autriche et les pays scandinaves, tous les nouveaux Etats membres avaient de plus des niveaux de vie inférieurs à la moyenne communautaire et étaient donc éligibles à la politique de la cohésion. Depuis un quart de siècle, les compétences couteuses de l’Union se sont donc fortement accrues tandis que le budget européen a stagné et ne représente plus que 1% du RNB de l’Union par la volonté des grands pays contributeurs nets de na pas dépasser ce seuil [1].

Il y a non seulement un recul en terme quantitatif mais également qualitatif car le budget de l’Union n’est plus financé par les ressources propres mais par des contributions nationales. Cela m’indigne car les défenseurs de l’Europe communautaire ont laissé faire années après années cette évolution et se sont laissés culpabiliser par les anti-européens ou les défenseurs des intérêts nationaux. Or, d’après la lettre et l’esprit des traités, les dépenses engendrées par les politiques communautaires et qui figurent dans le budget de l’Union doivent être financées par des ressources propres. Ce qui signifie des ressources fiscales. Le tout premier traité européen, celui de la CECA en 1951, instituait d’ailleurs un impôt que l’on peut qualifier de fédéral puisqu’il s’agissait d’une taxe sur les entreprises sidérurgiques et minières, levée par la Haute autorité de la CECA. Le traité de Rome à créé de nouvelles ressources propres avec les droits de douanes. C’est ensuite à partir du Conseil européen de Fontainebleau –alors que la Communauté avait de moins en moins de ressources propres du fait de la réduction des droits de douanes dans le cadre des accords internationaux du GATT et que les dépenses augmentaient – que les Etats ont choisi de compléter les ressources propres par des contributions nationales au lieu de trouver de nouvelles ressources. Les juristes ont alors fait semblant de considérer ces contributions comme des ressources propres. 25 ans plus tard, ce complément qui devait être provisoire est devenu permanent et très largement majoritaire dans la part des recettes.

Lorsque l’on défend aujourd’hui l’instauration de véritables ressources propres – et je ne parle pas d’un impôt fédéral – on est taxé de fédéraliste primaire alors qu’il ne s’agit que d’appliquer le traité. Ceci est d’ailleurs loin d’être irréaliste et la crise de la dette nous donne l’occasion de le faire. Avant la crise, les ministres des Finances ne voulaient pas payer pour le budget communautaire et aujourd’hui, ils ne peuvent pas. Il faut donc trouver de nouvelles ressources propres en contrepartie de la disparition des contributions nationales.

Le discours que je tiens au sein de la commission des Budgets du Parlement européen est le suivant : les gouvernements ne peuvent pas vouloir trois choses à la fois : l’adoption de l’agenda 2020, le refus d’augmenter les contributions nationales au budget communautaire et le refus de créer de nouvelles ressources propres. Ils doivent choisir. Si les chefs d’Etat et de gouvernement décident que la priorité est de retrouver la maitrise de nos budgets nationaux, alors il faut abandonner l’agenda 2020 car il n’est pas finançable à l’heure actuelle. Je plaiderais dès lors au sein du Parlement pour que la politique budgétaire communautaire accompagne cet effort de rigueur. Si les Etats considèrent au contraire qu’il faut combiner rigueur budgétaire et préservation de notre compétitivité, il convient alors de faire un effort sur les dépenses de recherche ou d’investissement dans les nouvelles technologies à la fois dans les budgets nationaux et dans le budget communautaire. Cela passe dès lors nécessairement par de nouvelles ressources propres car il n’est pas possible d’augmenter les contributions nationales.

Le contexte y est de plus très favorable car depuis un ou deux ans les termes du débat ont profondément changé. Autant il était auparavant inconcevable de créer un nouvel impôt, autant aujourd’hui les idées fleurissent comme des champignons après la pluie. Deux grands gisements sont identifiés : la fiscalité verte et les taxes sur les banques ou sur les transactions financières. Mais il existe à mon sens une option plus simple qui consisterait à partir de l’existant, à savoir de la TVA qui est le seul impôt sur lequel il y a une harmonisation de l’assiette au niveau communautaire. Il serait donc extrêmement facile de réduire les taux nationaux et d’instituer la possibilité pour l’Union européenne de lever entre 0,5 et 2 points de TVA. Une autre solution consisterait à affecter directement à l’UE la TVA qui frappe les importations des pays tiers. En France, la Direction générale des douanes prélève ainsi 25 milliards de TVA, qui pourraient être directement affectés au budget de l’Union. En contrepartie, on supprimerait la contribution de la France qui représente 19 milliards d’euros. C’est simple et logique car les ressources procurées par le marché unique alimenteraient le budget. Cela inciterait de plus les Etats membres à importer le moins possible de l’extérieur.

Le grand débat que j’appelle de mes vœux doit non seulement permettre de soulever la question des ressources mais également de l’utilité du budget européen, dans le cadre de la réflexion sur une meilleure coordination des politiques économiques des Etats. A quoi sert le budget européen, en quoi complète-t-il nos budgets nationaux, à quoi doit-il ressembler dans 10 ans ? Notre intention est-elle de préserver le rôle que joue actuellement le budget européen et qui consiste à financer trois grands types de dépenses : la politique agricole commune, la plus ancienne politique communautaire financée à 100% par le budget, la politique régionale et la politique de cohésion, et les nouvelles politiques communautaires, que je qualifieraient de dépenses d’avenir. Le simple fait de se demander si 50 ans après il est toujours justifié de consacrer la majeure partie du budget à la PAC n’est pas politiquement correct en France. Or, si l’on prend un peu de recul, c’est la question qu’il faut poser.

Pour conclure, je dirais qu’après l’été, nous aurons trois mois pour faire bouger les lignes et franchir ce saut qualitatif dans la gouvernance économique, après il sera trop tard. A la faveur de la crise, les conditions de températures et de pressions sont en effet réunies pour que les choses avancent. Mais lorsque la reprise et la confiance seront revenues, les Etats ne voudront plus s’embarrasser de procédures communautaires et chacun reprendra ses billes.

[1] En 2005, les six principaux contributeurs nets au budget de l’UE (Allemagne, Royaume-Uni, France, Pays Bas, Suède, Autriche) signent « La lettre des six » par laquelle ils s’engagent à ne pas affecté plus de 1% du RNB communautaire au budget

Retrouvez l’interview sur le site du Cercle des européens

Interview publiée sur « l’Expansion.fr », le 13 août 2010

« Sans impôt européen, l’UE risque de ne plus fonctionner »

Propos recueillis par Franck Dedieu –  13/08/2010 12:34:00

Alain Lamassoure, président de la commission des Budgets au Parlement européen, explique ce que pourrait être concrètement un impôt européen, un projet annoncé par Bruxelles.


« Le commissaire au budget Janusz Lewandoswky évoque la possibilité d’un impôt européen pour constituer un vrai budget communautaire. La France comme l’Allemagne et le Royaume-Uni s’y opposent. Quelle est votre position ?

D’abord, ce refus français ne vient pas du plus haut niveau (ndlr : mais du secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes, Pierre Lellouche), il ne faut donc pas enterrer le sujet trop tôt. Le Parlement réclame une ressource propre pour l’Union européenne depuis déjà trois ans. Ensuite, un petit rappel historique : l’impôt européen existait déjà en 1951, à travers la CECA qui avait créé une taxe communautaire sur le chiffres d’affaires des industries sidérurgiques et minières. Le traité de Rome établit aussi des ressources propres à l’Union avec les droits de douane aux frontières de l’Europe. Aujourd’hui, cette manne est devenue dérisoire. Le budget européen ne fonctionne pratiquement qu’avec des contributions nationales. Or les Etats-membres contraints à la rigueur répugnent à mettre la main au pot communautaire. Sans un impôt européen, ou du moins une nouvelle ressource, le budget de l’Union risque de fondre et l’Europe de ne plus fonctionner.

Comment remettre à l’ordre du jour cette idée d’impôt européen ?

Une occasion formidable se présente en octobre. Les 27 chefs d’Etats se réunissent  pour coordonner leur politique budgétaire, ils pourraient penser au 28ème budget, celui de l’Union européenne. Les commissions des Finances des parlements nationaux pourraient s’assoir autour de la table et cet aéropage débattrait de manière publique. Je dois rencontrer prochainement le président du conseil européen Herman Van Rompuy pour lui soumettre cette idée.

Mais concrètement sur quoi porterait cet impôt communautaire ?

Il faut avant tout partir du principe de constance. L’impôt européen se substituerait aux contributions nationales. Ce serait pour les citoyens de l’Union un jeu à somme nulle. Il existe plusieurs pistes de réflexion pour arriver à alimenter un budget européen de 130 milliards d’euros. On pourrait baisser les TVA nationales et créer à proportion une TVA européenne dont le produit partirait à Bruxelles. Facile techniquement mais pas très populaire. Les impôts verts semblent plus acceptables par la population. Normal, ils font du bien à la planète et frapperaient surtout les industriels. Le Conseil européen a déjà décidé de créer une nouvelle ressource publique : à partir de 2013, la vente aux enchères des droits d’émission de CO2 devrait rapporter plus de 30 milliards par an. Pourquoi cette recette tirée d’une politique entièrement européenne n’alimenterait-elle pas le budget européen, alors que les ministres des finances veulent s’en réserver le bénéfice ? La taxe carbone aux frontières de l’Union payée par les industriels tiers sans normes environnementales fait aussi partie des pistes possibles même si beaucoup de nos partenaires européens s’opposent au retour des droits de douanes. Il y a bien-sûr le gisement bancaire avec un impôt sur les transactions financières qui a l’heur de plaire à Paris, Londres et Berlin. Il reste une dernière option : l’affectation directe au budget européen de la TVA prélevée sur les produits importés des pays tiers, comme c’est le cas pour les droits de douane qui grèvent ces mêmes produits. »

Retrouvez l’interview et l’ensemble des articles sur le site de l’Expansion

Interview publiée dans « Libération » le 11 août 2010

«Il faut ouvrir le débat sur un impôt européen»

Par ELODIE AUFFRAY – Économie 11/08/2010 à 18h20

Le citoyen européen va-t-il aussi devenir contribuable européen? Lundi, dans une interview au Financial Times Deutschland, le Commissaire européen au Budget, Janusz Lewandowski, a annoncé envisager la création d’un impôt européen.

Le Commissaire présentera ses propositions fin septembre, mais a déjà annoncé ses quatre pistes de réflexion: une taxe directe sur les contribuables, une taxe sur les transactions financières, une taxe sur le transport aérien et une taxe sur les revenus générés par la bourse d’échange des quotas d’émission de CO2.

Une taxe, argumente le commissaire, permettrait d’augmenter le niveau du budget européen, tout en diminuant les contributions des Etats-membres. Elles représentent actuellement les trois-quarts des 140 milliards d’euros du budget communautaire annuel.

Les capitales n’ont pas tardé à réagir: pas question de créer un impôt communautaire, ont fait savoir les gouvernements britannique, allemand et français, trois des quatre plus gros contributeurs. Seul le ministre belge des Finances s’est prononcé en faveur de cette idée.

A l’inverse des Etats-membres, le Parlement européen penche clairement pour la mise en place d’un impôt européen. L’un de ses plus ardents défenseurs est Alain Lamassoure, président de la commission des budgets de l’institution.

Auteur en 2007 d’un rapport sur l’avenir des ressources propres de l’Union européenne, l’eurodéputé français (UMP) critique l’opacité du système actuel, qui favorise les intérêts nationaux et engendre des «négociations de marchands de tapis».

Comment réagissez-vous à la proposition du Commissaire européen au Budget de créer un impôt européen?

Je me réjouis que la Commission européenne donne suite à une demande du Parlement européen qui date de trois ans: en mars 2007, sur la base de mon rapport, une résolution, adoptée par les 4/5e des députés, demandait à ce que la Commission réfléchisse à de nouvelles ressources. Nous avions lancé plusieurs pistes, notamment l’affectation d’une partie de la TVA ou de l’impôt sur les sociétés au budget européen. Depuis, d’autres gisements potentiels sont apparus: les diverses taxes carbone et les taxes sur le système bancaire (bonus, superprofits des banques, transactions financières, etc.)

Que pensez-vous des pistes de réflexion lancées par la Commission?

Je suis un peu déçu que l’éventail des propositions soit si restreint. La Commission élude certaines questions. Il faudrait sérieusement revoir l’option TVA. Cet impôt est harmonisé au niveau européen depuis plus de 30 ans, avec une même définition et un même mode de calcul, une même liste de produits sur lesquels un taux réduit peut s’appliquer. Il serait très facile de dire que, par exemple, 2% de la TVA perçue est affectée au budget européen. Si la Commission refuse de le faire, je peux aussi lancer au sein du Parlement la réflexion sur une taxe qui se baserait sur la TVA qui frappe les produits importés.

Quelles sont les recettes actuelles du budget européen?

Jusqu’au début des années 1980, le budget communautaire était alimenté par des ressources propres: taxe sur le chiffre d’affaires des entreprises sidérurgiques et minières, droits de douane. Puis il y a eu un effet de ciseau: les recettes ont baissé, pendant que les dépenses ont augmenté. En 1984, lors des négociations très difficiles du sommet de Fontainebleau, les chefs d’Etat ont décidé non pas de créer une nouvelle ressource propre, mais de compléter le budget par des contributions nationales, calculées, en gros, en proportion de la richesse de chaque Etat-membre.

Ces contributions nationales étaient conçues comme un supplément à caractère provisoire. Sauf que les dépenses se sont fortement accrues avec les compétences dévolues à l’Union européenne et avec l’entrée des pays de l’Est. Ainsi, de façon imperceptible, sans que jamais la décision politique ne soit clairement prise, les contributions des Etats-membres ont fini par représenter 75% du budget communautaire.

Le fait que le budget européen soit alimenté par les contributions nationales engendre selon vous des effets pervers…

Oui, car au moment de négocier le budget, ce ne sont pas 500 millions de contribuables qui se retrouvent autour de la table, mais 27 ministres des Finances, qui ont comme consigne de leur gouvernement respectif de parvenir à lâcher le moins d’argent possible, et d’en récupérer le plus. Ce sont des négociations de marchands de tapis, où chacun pense à son intérêt national.

Le contexte de crise ne compromet-il pas les chances de mise en place de cet impôt?

La crise financière a porté le coup de grâce au système des contributions nationales. Avant, les ministres des Finances ne voulaient pas donner d’argent, maintenant ils ne le peuvent plus. Tous le monde doit faire des efforts d’économie. Les pays doivent retrouver l’équilibre budgétaire, tout en soutenant le redémarrage de l’économie, qui se fera à travers l’éducation, l’innovation, la recherche… Le budget européen doit contribuer à cela. Par ailleurs, il faut se poser la question s’il est raisonnable que 40% du budget européen soit actuellement consacré à la Politique agricole commune, et autant à la politique régionale.

Plusieurs capitales se sont immédiatement dressées contre la proposition. L’impôt européen a-t-il une chance d’être adopté contre leur volonté?

Cela demandera du temps. La première réaction des Etats est forcément négative. Le Parlement a déjà réussi à obtenir de la Commission qu’elle émette des propositions ; il a fallu la harceler pour cela. Il faut maintenant que les chefs d’Etat se saisissent de ce problème, et non plus qu’il soit laissé aux seuls ministres des Finances. Le Parlement européen va s’engouffrer dans la voie ouverte par la Commission, poussera le Conseil à accepter l’ouverture des débats.

Je propose la mise en place d’une conférence financière européenne, une sorte de groupe de travail, à laquelle participeraient les Parlements nationaux. Car il ne s’agit pas de créer une fiscalité fédérale. La souveraineté fiscale demeurerait aux mains des Etats-membres. Nous souhaitons que l’Union européenne soit traitée comme une sorte de collectivité locale, qui bénéficie du droit d’avoir des recettes fiscales. Une autorité politique qui décide de dépenses doit aussi décider des recettes, et en assumer l’éventuelle impopularité.

Les citoyens sont-ils prêts à accepter un impôt européen?

Le citoyen alimente déjà le budget européen à travers les contributions nationales, sauf qu’il ne le voit pas. Si le niveau de l’impôt est décidé par le Parlement européen, les citoyens pourront demander des comptes aux eurodéputés à chaque élection. Le système actuel est complètement opaque, et ne permet pas au citoyen d’exercer sa responsabilité.

Pour plus de renseignements : site de Libération

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