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« De la méthode Delors à la méthode Herzog », article paru dans la revue « Confrontations Europe » n° 82 – Avril 2008

Prix accordé par « Cambio 16″ à Nicolas Sarkozy désigné « personnalité la plus remarquable de 2007″ (22 avril 2008)

L’Europe existe: la Russie l’a rencontrée

Une page se tourne. Après une vingtaine d’années de transition, un nouvel échiquier international est en train de se mettre en place. Tout comme, en 1991, la première guerre du Golfe avait marqué l’apparition d’un monde nouveau, libéré du communisme soviétique et dominé par une seule super-puissance, le bref conflit russo-géorgien jette une lumière crue sur un paysage inédit que, jusqu’alors, l’on distinguait mal.

C’est fait : le monde est multipolaire. Dans les livres d’histoire, les images des J.O. de Pékin illustreront l’extraordinaire promotion de l’Empire du Milieu. Mais l’Inde et le Brésil se donnent aussi les moyens d’une politique mondiale, et pas seulement à l’OMC. Pour sa part, la Russie renaît en réintroduisant dans la politique internationale des méthodes que l’on croyait disparues avec l’Union soviétique. Symétriquement, en dépit d’un formidable accroissement de leur budget, les Etats-Unis font péniblement la démonstration des limites de la puissance militaire, et payent l’invraisemblable contresens qui les a conduits à transformer la lutte contre les « fous d’Allah » en une « guerre des civilisations ».

La guerre, justement, la vraie, est de retour. Certes, le monde n’a jamais été en paix depuis la fin de la guerre froide. Il y a eu les nombreux conflits successifs dans les Balkans et le Moyen-Orient, mais aussi des affrontements moins médiatisés, et bien plus meurtriers : à elle seule, la guerre civile du Congo, attisée par ses voisins, a tué plus de cinq millions de personnes au début des années 2000. Mais nous vivions dans un bulle irénique, profondément convaincus que le fait d’avoir vaincu le virus belliqueux chez les fauteurs des deux guerres mondiales suffisait à nous assurer la paix perpétuelle. La guerre ? Une activité archaïque, démodée, une survivance limitée à de malheureux peuples en développement. On en venait à bout par des opérations humanitaires et des expéditions de « casques bleus » à peine plus meurtrières que la lutte contre l’incendie. Mais, sept ans après la destruction des Twin Towers, la menace d’Al Qaeda continue de peser sur nos capitales. En Afghanistan, Anglais, Canadiens, et maintenant Français sont tombés par dizaines sans pouvoir empêcher les talibans de reprendre une grande partie du terrain perdu. Le Président iranien ne se « contente » plus de menacer Israël de la foudre nucléaire: il développe des missiles qui feront de nos villes une cible possible et de notre ciel un trajet potentiel pour frapper les Etats-Unis, plaçant ainsi notre continent en première ligne de la défense anti-nucléaire américaine. Les Russes répliquent à cette défense en gelant les accords de désarmement qui concernent le théâtre européen. Enfin, événement stupéfiant et terrible symbole, voilà maintenant les Russes et les Georgiens qui emploient leurs contingents de « maintien de la paix » pour se faire une guerre ouverte !

Tout entiers préoccupés à la seule lutte « politiquement correcte », la lutte contre les changements climatiques, et nous apprêtant à suivre l’exemple du Président costaricain Oscar Arias, déclarant la « paix à la terre » après avoir déclaré la paix au monde entier, nous voilà brutalement revenus … sur terre. La terre des hommes. La terre où, partout hors d’Europe, les budgets militaires connaissent une forte croissance, très souvent à deux chiffres. La terre où, partout hors d’Europe (et de quelques rares exceptions comme le Japon), la guerre reste, dans les esprits, une manière, certes fâcheuse mais éternelle, de poursuivre la politique par d’autres moyens. Soudain, le métier de soldat n’apparaît plus désuet, il retrouve sa terrible grandeur. Il est même possible que, d’ici quelque temps, les dépenses militaires ne soient plus considérées comme un insupportable gaspillage.

Et c’est aussi d’Europe que vient un autre changement révélateur.

L’Union a maintenant « digéré » son élargissement. Elle a conçu ses nouvelles institutions, qu’elle espère appliquer l’an prochain. Sa monnaie est devenue la plus forte du monde. Elle a prouvé sa capacité visionnaire et sa capacité d’entraînement dans le lancement de la lutte contre l’effet de serre. Elle a fini par tirer les enseignements de ses divisions fratricides dans l’affaire irakienne. Le jeu cynique des Russes dans le maniement des robinets de gaz et le recours aux armes là où ils sont en position de force ont ouvert les yeux même des plus candides. Enfin, clin d’œil de l’Histoire, un heureux hasard a vu l’arrivée à la Présidence d’un leader de la trempe de Nicolas Sarkozy, à un moment particulièrement critique de conjonction de crises internationales, tandis qu’une pénible fin de règne met Washington entre parenthèses. Alors, tout d’un coup, l’Union européenne existe.

Habitués à jouer des divergences d’intérêt et des rivalités d’amour propre entre Européens, les dirigeants russes se heurtent pour la première fois à un front uni. Uni pour soutenir le plan de paix en 6 points en Géorgie. Uni pour suspendre les autres négociations avec Moscou tant que ce plan n’est pas intégralement appliqué. Uni pour consolider politiquement et économiquement l’indépendance de la Géorgie et pour étendre l’influence protectrice de l’Europe à l’Ukraine, prochaine cible annoncée du ressentiment russe. Uni pour engager une politique de diversification de ses sources d’énergie et de ses réseaux d’approvisionnement, alors qu’il y a encore quelques jours, malgré les ambitions affichées, le « chacun pour soi » restait de règle. Moscou croyait engager une épreuve de force diplomatique avec Washington et l’OTAN, c’est l’Union européenne qu’il voit se dresser devant lui.

Bien sûr, cette hirondelle inattendue ne suffit pas à faire le printemps de l’Europe. L’unité aura bien des occasions de se lézarder, la présidence du Conseil européen restera fragilisée tant qu’elle ne bénéficiera pas de la permanence prévue par le traité de Lisbonne et, en l’absence d’un outil militaire cohérent par rapport à ses ambitions diplomatiques, l’Union restera un acteur politique de second rang. Mais, pour la première fois, elle existe. Elle ose s’opposer à son plus puissant voisin. Et, dans quelques mois, les élections européennes donneront à cette existence et à cette politique la pleine légitimité démocratique. Ce ne sont encore que quelques lignes griffonnées sur une page blanche, mais c’est bien un chapitre nouveau qui s’ouvre.

Alain LAMASSOURE, le 4 septembre 2008

Reconnaissance des symboles de l’Union européenne (1er février 2008)

Voir plus loin pour agir plus près : la démarche « Pays Basque 2020″

La prospective n’est plus à la mode. Pourtant, en la matière, la France avait été pionnière, avec le Commissariat général du Plan, créé par Jean Monnet. Mais depuis une vingtaine d’années, l’organe de vigie a perdu lentement son rôle, puis son influence, puis son nom et finalement sa direction. C’est une erreur. La montée des incertitudes, techniques, politiques, économiques, environnementales, doit, au contraire, nous inciter à voir plus loin pour agir plus efficacement. C’est ce que nous avions fait au niveau local avec la démarche « Pays basque 2010 », lancée au début des années 90. C’est ce que nous avons renouvelé avec « Pays basque 2020 ». Non par un travail d’experts en chambre, mais par la mobilisation de plusieurs centaines d’acteurs, économiques, sociaux, culturels, politiques, y compris, pour la première fois, beaucoup de ces jeunes qui seront le Pays basque de demain.

Qu’avons-nous voulu faire ?

Non pas un exercice de planification. L’illusion selon laquelle des hommes politiques seraient capables de se substituer aux agents économiques pour orienter les investissements privés est bien dissipée. La période couverte par « Pays basque 2010 » a été marquée par des novations imprévisibles : le développement foudroyant d’Internet et des nouvelles technologies de communication ; les retombées économiques inimaginables de la mode vestimentaire née des sports de glisse, le « surfwear » ; le dynamisme de nos voisins d’Euskadi, symbolisé par le musée Guggenheim de Bilbao et la spectaculaire reconversion industrielle ; plus récemment, la nouvelle révolution industrielle à laquelle nous conduit la lutte contre l’effet de serre, et le bouleversement de l’économie agricole avec l’apparition des OGM, le développement des biocarburants et l’explosion de la demande des pays émergents.

Aussi, loin de prétendre programmer l’imprévisible, dans un monde en changement rapide, nous voulons rester maîtres de notre destin.

Nous nous appuyons sur les résultats de l’étape précédente : exécutée à plus de 90%, la Convention spécifique (2000-2006), a permis d’accompagner beaucoup de projets innovants, et surtout de faire reconnaître l’identité et la spécificité du Pays basque : les résultats les plus marquants ont concerné la langue, la culture, d’une part, et les technologies nouvelles et la formation supérieure, d’autre part. Le contrat sur les langues régionales passé par l’Etat avec le département, la création de l’Office de la langue basque, le développement rapide de l’enseignement de l’euskara, les succès remarquables du parc technologique d’Izarbel et de l’ESTIA, l’aménagement des réseaux à haut débit, la création de l’Institut supérieur aquitain du BTP et du pôle scientifique et technologique de Montaury ont marqué cette période.

Sur ce socle, nous pouvons maintenant préparer le Pays basque à son avenir.

Priorité est donnée à l’emploi, grâce au développement durable. Même si nos résultats sont plutôt meilleurs que la moyenne nationale et régionale, nous n’acceptons pas qu’une proportion élevée de nos jeunes restent sans emploi et sans logement. Notre choix politique est de faire du Pays basque une région riche d’abord d’une économie de production – dans l’agriculture, l’industrie, l’artisanat – l’économie « résidentielle » ne devant avoir qu’un rôle second.
D’autres sauront toujours produire plus. Nous voulons produire mieux.

L’économie du XXIe siècle est fondée sur la connaissance. Sur l’éducation, la formation, la recherche. Sur l’audace, l’inventivité, le talent. La haute technologie est une image, mais elle n’est qu’une voie parmi d’autres : dans un monde hyper-concurrentiel, tout repose sur la qualité. Sécurité et qualité du produit, comme du mode de fabrication, traçabilité, aptitude au recyclage, économie de ressources rares ou de produits polluants, qualité des services, de l’accueil, de l’écoute, de l’hospitalité, recherche de la perfection, quelle que soit l’activité choisie, qualité des relations sociales et humaines, placées au sommet de la hiérarchie des valeurs. Y-a-t-il une philosophie plus conforme à la tradition la plus ancienne du Pays basque et, en même temps, un meilleur gage d’efficacité pour notre temps ?

C’est pourquoi nous avons mis l’accent sur les pôles de compétitivité, les grandes liaisons de transport, la protection de l’environnement, les économies d’énergie et le développement des relations avec la puissante locomotive du sud de la Bidassoa. C’est pourquoi le projet concerne toutes les entreprises, à commencer par les petites et moyennes. C’est pourquoi, pour la première fois, nous avons introduit la politique de santé et les relations du travail, qui sont au cœur d’une politique de qualité d’un territoire.

S’il n’appartient pas au pouvoir politique de se substituer à l’individu ou à la société, c’est lui qui est responsable de la traduction du développement dans l’espace de vie. Or, les évolutions spontanées sont ambiguës. D’un côté, le développement de la «zone intermédiaire » entre la côte et l’intérieur du pays, l’apparition du télé-travail, l’amélioration des transports et des liaisons de télécommunication redonnent des atouts nouveaux à des cantons qui étaient en voie de paupérisation. De l’autre, l’insuffisance des terrains à bâtir, l’attractivité croissante de trop beaux paysages, les embolies circulatoires causées chaque jour par les déplacements individuels, mais aussi, hélas, le peu d’empressement des habitants installés à faire de la place à de nouveaux venus, fût-ce à la génération montante, ou à des activités de production jugées trop facilement « polluantes » rendent plus aigus les «conflits d’usage ».

Nous refusons de choisir entre des inconvénients. De manière plus ambitieuse, nous voulons combiner les avantages. Nous devons à nos compatriotes l’emploi ET la qualité de la vie, la production ET la protection de la nature, le TGV ET le paysage, la récompense des initiatives entrepreneuriales ET la sécurité des salariés, le renforcement de l’identité basque ET l’ouverture culturelle sur un monde passionnant et prodigieux. Utopie ? Allons donc ! Pourquoi ce que beaucoup de maires tentent et réussissent dans leur commune serait impossible à l’échelle de notre petite région ? A partir du moment où nous savons travailler ensemble, comme nous l’avons appris, en particulier au sein des institutions originales que sont le Conseil des élus et le Conseil de développement.

En 2020, le Pays basque doit être une terre d’excellence.

Alain Lamassoure, le 4 janvier 2008.