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Le ridicule ou l’Europe

Pour quoi faire l’union politique de l’Europe ? Voilà des années que, dans tous les sondages, les Français et les autres citoyens européens répondent massivement qu’il faut désormais unir nos voix et nos forces pour défendre ensemble notre sol et nos valeurs communes dans un monde dangereux. Ceux qui en doutaient encore ont pu méditer la portée de la stupéfiante tragédie du 11 septembre et des menaces terroristes de ce début de siècle. Et c’est pourquoi, dès le 14 septembre, les dirigeants européens se sont réunis pour apporter une réponse commune à ce défi inédit.
Hélas ! dès le matin du 15, voilà chacun retourné à ses foyers, à sa cuisine ordinaire, à ses médias nationaux, si aisément fascinés par les commentaires du dirigeant local sur ces événements planétaires. Le Britannique BLAIR, l’Allemand SCHRÖDER, l’Italien BERLUSCONI, l’Espagnol AZNAR, le Premier Ministre belge et, naturellement, le tandem CHIRAC-JOSPIN sillonnent le monde, prodiguent les conseils, se bousculent à Washington, s’arrachent le Président pakistanais, l’ex-roi ZAHER SHAH ou Yasser ARAFAT, bousculent l’ONU, se laissent arracher avec délices l’aveu d’une participation militaire nationale aussi valeureuse que secrète, bref gesticulent. Chacun pour soi. Le comble du ridicule a été atteint ce soir de novembre où, pour parler d’Afghanistan, Tony BLAIR a voulu organiser un dîner à trois avec ses collègues français et allemand et où leurs homologues italien, espagnol, belge et hollandais ont littéralement forcé la porte…
Et pourtant, il y a pire. Si au moins cette expérience révélatrice pouvait servir de leçon pour mieux préparer l’avenir. Malheureusement, le « chacun pour soi » reste la règle pour la politique d’armements, dont dépend notre capacité à aborder les prochains conflits. La France espère éblouir le monde avec son porte-avions nucléaire tout neuf. Chacun sait qu’un seul porte-avions n’offre que des possibilités limités à cause des longues périodes d’entretien, mais l’on va en commander un second. Pour dans dix ans. Les Italiens et les Espagnols n’en ont qu’un chacun, mais ils flottent. Les Anglais se contentent de porte-aéronefs plus modestes, mais, jaloux de notre Charles-de-Gaulle, ils sont à la veille de passer commande de deux porte-avions plus grands que celui-ci. Pour dans quinze ans…
Pour quels types de crises, contre quelles menaces, sur quels théâtres d’opérations, avec quel objectif politique chacun de nos pays entretient-il ces plate-formes immenses, dispendieuses et extrêmement vulnérables ? Chut ! Secret-défense ? Non, secret-prestige. Dans le même temps, l’Italie et l’Allemagne remettent en cause leur participation au grand programme d’armement commun, l’avion de transport Airbus 400M… On ne peut pas à la fois s’offrir le clou de la panoplie de la guerre précédente et les armes de l’actuelle.
Impuissantes, hier, en Yougoslavie, ignorées au Proche-Orient, disparues d’Afrique, fantômatiques en Afghanistan, les anciennes grandes puissances européennes savent désormais qu’elles n’ont qu’un moyen d’échapper au dérisoire et au ridicule : faire l’Europe diplomatique et militaire, comme nous avons fait l’Europe monétaire. Maintenant.

Alain Lamassoure, le 8 novembre 2001.