mars « Migrants: une crise « existentielle » grave pour l’UE, minée par les replis nationaux », dépêche AFP publiée le :

 

L’afflux ininterrompu de migrants a plongé l’Union européenne dans une crise « existentielle », peut-être la pire de son histoire, en provoquant des replis nationaux d’un autre temps, se désolent plusieurs vétérans politiques européens.
Mais cette remise en cause de l’idéal de solidarité européen, né sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale, finira par montrer que les réponses nationales sont sans issue, assurent ces personnalités politiques interrogées par l’AFP.
Pour l’ex-président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, cette crise migratoire sans précédent depuis 1945 « est le plus grand défi auquel nous avons été confrontés depuis le début de l’intégration européenne ».
Parce qu’il met en jeu – outre les rapports entre Etats – « des questions sensibles comme la tolérance et la xénophobie » face à des hommes et des femmes venus d’ailleurs. « Et dans l’histoire européenne, nous avons de vieux démons », prévient le Portugais.
La récente crise de la dette dans la zone euro ou le spectre d’un « Grexit » avaient déjà fait vaciller l’Europe, « mais au dernier moment, l’esprit européen de solidarité pointait toujours au bout du tunnel », observe Daniel Cohn-Bendit, député européen écologiste pendant vingt ans, jusqu’en 2014.

– ‘Chacun pour soi’ –

Aujourd’hui, « on a l’impression qu’il y a une insensibilité incroyable, que c’est du chacun pour soi, et ça c’est très dangereux pour l’idée européenne », déplore l’ancien meneur du mouvement étudiant de mai 68, qui a récemment obtenu la nationalité française en plus de celle de l’Allemagne.
Pour Alain Lamassoure, député européen depuis 1989 (PPE, centre-droit), l’UE fait face à sa « crise la plus grave » parce que « pour la première fois, les dirigeants nationaux n’appliquent pas les décisions qu’ils ont prises eux-mêmes dans le cadre de l’UE ».
L’ancien ministre français mentionne le plan de répartition de 160.000 réfugiés dans l’UE, censé incarner la solidarité européenne. Seulement 642 personnes ont été « relocalisées » à ce stade, des pays de l’Est contestent ce plan devant la justice et la Hongrie a même prévu de le soumettre à un référendum.
« Non seulement ce plan n’est pas appliqué par les pays qui ont voté contre (et qui doivent quand même l’appliquer), mais il n’est même pas appliqué par les pays qui ont voté pour », regrette M. Lamassoure, fustigeant une « violation gravissime du droit communautaire ».
L’UE se déchire aussi en raison de l’absence de grands dirigeants, relèvent ces figures de la politique européenne.
Mise à part Angela Merkel, « tous les autres ont fait une surenchère démagogique, oubliant que c’était d’abord une tragédie humanitaire », estime M. Lamassoure. A côté de la chancelière allemande « qui a une envergure européenne, les autres, ce sont des nains politiques », assène M. Cohn-Bendit.

– ‘Une seule solution’ –

Cette crise « très grave » pourrait bien aller jusqu’à « briser le projet européen », avertit le libéral Guy Verhofstadt, ancien Premier ministre belge et figure du Parlement européen.
On a vu ces derniers mois « le retour des hommes politiques qui pensent qu’on peut résoudre les problèmes en se retranchant derrière les frontières nationales », s’inquiète-t-il, mettant en garde conre un effondrement de la libre-circulation dans l’espace Schengen, acquis emblématique de l’Europe.
« Au fond, nous nous rendons compte que l’Union est fondamentalement une union économique », qui peut imposer des décisions et des sanctions dans le domaine économique mais reste incapable de le faire sur des sujets comme les migrations, touchant à la souveraineté nationale, analyse Alain Lamassoure.
« On a Schengen, mais on n’a pas de gardes-frontières communs, pas de politique d’asile commune, pas de politique migratoire commune », résume Guy Verhofstadt. « Pour s’en sortir, la seule solution c’est de faire un saut en avant dans l’intégration européenne », prône-t-il.
« C’est tout simplement la seule solution », abonde M. Lamassoure, car isolés, les pays « sont tous complètement impuissants », y compris l’Allemagne.
Pour Daniel Cohn-Bendit, la voie pour « sortir de l’impasse » serait de proposer un « levier » afin de revenir à la solidarité européenne. « Il faudrait que la France, l’Italie et d’autres pays proposent un deal à Merkel », aux termes duquel « les pays prêts à organiser la solidarité bénéficieront d’un plan d’investissement, et pas seulement pour les réfugiés ».
« Comme toujours » dans l’UE, « grâce à la négociation et au compromis il y aura à la fin une solution commune », veut croire malgré tout M. Barroso.