« Exode migratoire, attentats : Leçon pour les européens », tribune publiée aujourd’hui dans le Figaro (26/03/2016)

En un an, 1,3 million d’arrivées de demandeurs d’asile, trois massacres terroristes : l’Europe doit affronter simultanément deux défis sans précédent. Elle ne peut les surmonter qu’en renonçant à une idée fausse, à un mythe et à un tabou.
L’idée fausse est de croire que l’éradication ultime du terrorisme islamiste se fera en Syrie. Non : les racines du mal sont d’abord chez nous. Quand des Français de Saint-Denis massacrent des Français de Paris, quand des Belges de Mollenbeck massacrent des Belges de Bruxelles, c’est d’abord la conséquence d’un échec tragique de nos politiques d’intégration. Les terroristes musulmans d’hier s’inspiraient du GIA algérien, ceux d’aujourd’hui d’Al Qaida autant que de Daesh, ceux de demain de Boko Haram ou d’une autre tête de l’hydre, avec le relais de beaucoup d’imams bien de chez nous. Au passage, si tout chaos profite évidemment à tous les délinquants, évitons l’amalgame avec la vague migratoire : les attentats de New-York, Londres, Madrid ou Toulouse étaient sans lien avec un flux d’immigration clandestine. Comment en sommes-nous arrivés à ce que des milliers de nos jeunes, soutenus silencieusement par des milliers d’autres, se laissent fasciner par l’idéal démentiel d’un suicide destiné à tuer un maximum d’innocents ?
Le mythe concerne le contrôle national de l’immigration. Face à l’exode syrien, « rétablir le contrôle aux frontières intérieures ! » est le mantra des autruches de tous les partis. Mais quand des centaines de milliers de familles, femmes et enfants compris, au péril de leur vie, et dans des conditions épouvantables, se pressent aux frontières de l’Europe en Grèce, en Bulgarie, à Lampedusa et même en Finlande, avec la complicité active de la Turquie et de la Russie, le national-égoïsme n’est plus une option. Ni pour les petits pays, qui ne font qu’aggraver le problème en se renvoyant les malheureux d’une frontière à l’autre, ni pour la grande Allemagne, littéralement submergée par sa générosité hâtive. Ni vis-à-vis de l’extérieur, où le chacun pour soi aboutit à l’impuissance, ni entre nous, où il nous mène au ridicule : avec 1 500 points de passages entre la France et la Belgique, le rétablissement martial des contrôles policiers à leur frontière commune n’a pas duré deux jours. Fiers d’être hors l’espace Schengen, les Anglais ne peuvent se passer de nous pour défendre leur soi-disant souveraineté nationale … à Calais.
Conséquence : ce n’est qu’au niveau européen que le problème migratoire peut être maîtrisé. Cette évidence n’échappe plus qu’aux démagogues : malgré le spectacle chaotique donné par nos gouvernants à Bruxelles, deux Français sur trois la partagent aujourd’hui. Prévue par le traité de Lisbonne, une politique commune de l’asile et de l’immigration peut et doit s’appliquer aux trois stades. Celui, fondamental, de la prévention : conclure des accords avec les pays fragiles, pour aider leur développement économique et leur progrès démocratique, en contrepartie de la réadmission de leurs nationaux en situation irrégulière. Ensuite, la mise en place d’un véritable corps de garde-frontières européens, en mutualisant et rationalisant nos moyens nationaux. Enfin, une définition commune des critères de l’asile et, dans tous nos pays, les mêmes règles sur les conditions d’entrée, de séjour, de circulation et de travail pour tous les non-Européens.
Reste le tabou : l’interprétation du droit d’asile. Face à l’exode migratoire dont ils étaient la cible, les Européens ont curieusement réagi en combinant un fort rejet politique spontané, une honteuse indifférence humanitaire – à l’exception notable d’Angela Merkel -, et une incroyable générosité juridique concernant le droit d’asile. Nos dirigeants en sont venus à considérer implicitement que toute personne qui fuyait un pays en guerre ou qui vivait sous une tyrannie excessive pouvait bénéficier du statut de réfugié politique en Europe. Interprétation absurde : la convention de Genève a été conçue pour mettre en sécurité des personnes nommément visées par l’arbitraire, généralement les militants de mouvements démocratiques, ou des minorités persécutées, soit au maximum quelques dizaines de milliers de personnes, en aucun cas des millions ! Les tyrans se voient ainsi encouragés à toutes les purifications ethniques ou religieuses. Tandis que s’est créée une véritable industrie multinationale du trafic d’êtres humains, démarchant les candidats à l’exil dans tous les pays en crise. Protéger les populations d’un pays en guerre est une chose, accorder le droit d’asile politique en est une autre – et le droit européen prévoit cette différence. Tout naturellement, c’est dans les pays voisins du conflit que les familles en danger doivent trouver un refuge provisoire, et c’est notre devoir d’y apporter notre aide humanitaire et financière.