« L’espace Schengen est- il en train d’exploser ?  » article publié, hier, dans le journal du « Sud-ouest » :

La crise des migrants et réfugiés qui a éclaté en Europe ne doit pas être vue comme un épiphénomène ou une simple difficulté passagère. Elle révèle des fractures qu’on pensait oubliées au sein des Vingt-Huit et qui font craindre pour la pérennité de la construction européenne. Certes, les négociations au sein de l’Union obéissent à un certain rituel qui se déroule généralement en trois phases. Tout d’abord, quelques pays posent un problème que les autres feignent d’ignorer. Puis surviennent des hauts cris affirmant qu’on ne changera pas de position, que celle-là est  » intangible « . Et finalement surgit un compromis, qui peut parfois apparaître bancal mais qui est acceptable par tous.

Impuissance à agir ensemble

Aujourd’hui, cette mécanique semble enrayée. Les raisons en sont multiples. La gestion des réfugiés touche à des valeurs sensibles dans nombre de pays : la citoyenneté, les droits de l’homme, la sécurité et finalement la notion même d’État souverain se retrouvent en question. La crise économique, le repli sur soi opéré par plusieurs gouvernements qui font face à des mouvements extrêmes ou populistes pèsent. Les invectives envoyées de part et d’autre – la Hongrie, taxée de pays totalitaire, ou l’Allemagne, traitée d’inconséquente – n’ont pas aidé à décrisper l’atmosphère. Au contraire. Mais, surtout, cette crise révèle un sérieux manque de volonté de régler la crise ensemble. Les mesures prises par nombre de dirigeants européens, à Berlin comme à Budapest ou à Copenhague, ont un air de réaction désordonnée, de peur panique, et finalement d’impuissance à agir ensemble.

La fermeture temporaire des frontières n’est pas interdite par le système Schengen. C’est même une possibilité prévue expressément dans les accords signés il y a trente ans et incorporés aujourd’hui au droit européen. Mais, inexpliquées, ces attitudes ressemblent sinon à une brèche dans la solidarité, dans la libre circulation des personnes, du moins à une remise en cause des valeurs et des acquis européens.  » Ces attitudes font un mal incalculable à la réputation de l’Europe […] et à son discours sur les valeurs dans le monde « , souligne Shada Islam, qui dirige Les Amis de l’Europe, un groupe de réflexion proeuropéen spécialisé dans les questions de sécurité,  » particulièrement au moment où la majorité des réfugiés du monde sont, en fait, à l’abri dans le monde en développement « .

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir été averti. Il y a près de deux ans, le président du Conseil italien, Matteo Renzi, et sa ministre des Affaires étrangères avaient sonné l’alarme et demandé des mesures radicales. Mais les dirigeants européens ont joué les autruches. Ils sont aujourd’hui rattrapés par l’urgence.  » Nous sommes dans une course contre le temps « , constate Claude Moraes, eurodéputé britannique né à Aden (Yémen) et qui préside la commission des libertés civiles au Parlement européen.  » C’est la dernière chance pour l’Europe de trouver une réponse organisée à la plus grande crise de réfugiés sur son sol depuis la Seconde Guerre mondiale.  »

Avancer ou reculer

 » Les États membres ne peuvent plus différer la mise en place d’un contrôle commun des frontières extérieures digne de ce nom, ni celle d’une politique européenne de l’asile « , estime Alain Lamassoure (Les Républicains), un des vétérans du Parlement européen.  » Chaque pays européen ne pourra plus éviter le débat de fond sur son propre avenir démographique, sur son identité nationale, comme sur la solidarité qu’il est en droit d’attendre de tous ceux qui bénéficient de sa citoyenneté ou de son hospitalité.  » De fait, l’Europe est placée devant un dilemme : avancer ou reculer.  » Sous la contrainte des événements s’ouvre ainsi un nouveau chapitre de l’histoire de l’Europe : l’Europe des peuples « , poursuit l’eurodéputé, ancien élu du Pays basque.  » Un sujet infiniment plus délicat que l’Europe monétaire…  »

 » La fermeture temporaire des frontières n’est pas interdite par le système Schengen  »

 » L’Union ne peut plus différer un contrôle commun des frontières extérieures digne de ce nom  »

Nicolas Gros Verheyde