On currency and its proper use

Two months were scheduled, but two weeks would have been enough for euros to replace francs in everyone’s wallet. The polls tell us that nine out of ten French people are satisfied with the way everything has gone. A swift and efficient success: for the first time in history, twelve countries have merged their national currency. A historical event from which some lessons can be drawn.

First of all, real political courage has been rewarded. The visionaries who set the European Monetary System in motion – Valéry Giscard d’Estaing and Helmut Schmidt – received due recognition at the time. However, there is less awareness in France of the real political heroism shown by Helmut Kohl following German reunification: while the mark was the symbol of Germany’s post-war success, while the strength of its national currency reassured a people beset by the rampant inflation which brought Germany to its knees after 1919 and again after 1945, while the all-powerful Governor of the Bundesbank officially called the plan for monetary union ‘manifestly absurd’ and 80% of Germans were opposed to it, Chancellor Kohl pressed ahead with the European currency to secure reunified Germany’s place in a Europe definitively united in this way. He may have lost power, but Germany’s place has been secured.

The most surprising thing, however, is that this courage spread throughout Europe. Merging currencies means pooling debts as well as assets: in 1991, there were substantial deficits in all the European countries and nobody wanted to pay for other people’s debts. A balance needed to be found before any merger. A fatally unpopular policy – raising taxes and cutting state subsidies – was launched in all the countries, and, with the exception of Luxembourg, the team in power was swept away at the next elections; in all the countries, the opposition continued with this unpopular but necessary policy when it took power. So much so that, nine years later, on the scheduled date and in line with the conditions set in advance, twelve countries had their rendezvous with the euro. Courage has paid off.

Second lesson: people are more European than many leaders think. How many times, since 1991, have we heard ‘if it was up to me, I would do it, but public opinion needs to be carefully handled …’? It is no longer possible to hide behind citizens’ alleged euroscepticism. Eurobarometer surveys have for years shown that Europeans want more Europe on major issues, and less interference from Brussels on local issues, and that they are not satisfied with the way in which Europe is currently being run.

Lastly, at a time when Europe was celebrating the success of its fledgling currency, Argentina was being plunged into chaos as a result of the mishandling of its own. An event which provides us with a third lesson: currencies are closely linked to politics. Argentina thought the best plan was to align its currency with the dollar, at a rate of one peso to one dollar, and to stick to that rate come hell or high water. The problem is that there is much more trade between Argentina and Brazil than the far-off United States, and Argentina has no way of influencing the American monetary authorities: at the first sign of problems, the whole house of cards collapsed. The twelve euro countries have got through the post 11 September fallout without any economic drama, however, because most of their foreign trade is with one another and they are equal partners in the European Central Bank.

This needs to be borne in mind. Now that the euro is here, our twelve countries should coordinate their economic policies even more closely than they did in the preparatory period. We are all in the same boat. What we now need to do is to appoint a captain. Urgently.

Alain Lamassoure, 17 February 2002

Du bon usage de la monnaie

On avait prévu un délai de deux mois: il aura suffi de deux semaines pour que les euros remplacent les francs dans tous les porte-monnaie. Les sondages nous disent que 9 Français sur 10 sont safisfaits de l’opération. C’est fait, vite et bien: pour la première fois dans l’histoire, douze pays ont fusionné leur monnaie nationale. Un événement historique qui comporte quelques leçons.

D’abord, le vrai courage politique est récompensé. A cette occasion, un juste hommage a été rendu aux visionnaires qui avaient mis sur les rails la première ébauche du système monétaire européen: Valéry GISCARD d’ESTAING et Helmut SCHMIDT. Moins reconnu en France est le véritable héroïsme politique dont a fait preuve Helmut KOHL au lendemain de la réunification allemande: alors que le Mark était le symbole de la réussite de l’Allemagne d’après-guerre, que la force de la monnaie nationale rassurait un peuple obsédé par les deux inflations vertigineuses qui l’avaient ruiné après 1919 et après 1945, alors que le tout-puissant gouverneur de la Bundesbank qualifiait officiellement le projet d’union monétaire « d’absurdité manifeste », et que 80% des Allemands y étaient opposés, KOHL a voulu la création de la monnaie européenne pour achever d’ancrer l’Allemagne réunifiée dans une Europe ainsi définitivement unie. Il y a perdu le pouvoir, mais l’union est faite.

Mais le plus étonnant est que ce courage a été contagieux dans toute l’Europe. Fusionner des monnaies, c’est mettre en commun ses avoirs mais aussi ses dettes: or, en 1991, tous les pays européens étaient en fort déficit, et aucun ne voulait payer les dettes des autres. Il fallait donc rétablir les équilibres avant la fusion. Dans tous les pays, une politique fatalement impopulaire – de hausse des impôts et de baisses des subventions de l’Etat – a été engagée; dans tous les pays (à la seule exception du Luxembourg), l’équipe au pouvoir a été balayée aux élections suivantes, et dans tous les pays l’opposition arrivée aux affaires a poursuivi cette politique impopulaire mais nécessaire. Si bien que, neuf ans plus tard, à la date prévue et dans les conditions fixées, douze Etats sont au rendez-vous de l’euro. Le courage a payé.

Second enseignement: les citoyens sont plus européens que ne le croient beaucoup de dirigeants. Que de fois, depuis 1991, n’a-t-on entendu le discours « Si ça ne tenait qu’à moi, ce serait fait, mais il faut ménager les opinions publiques… » Désormais, on ne pourra plus s’abriter derrière le soi-disant euroscepticisme des citoyens. Voilà des années que les sondages « eurobaromètres » montrent que les Européens veulent plus d’Europe sur les grands sujets, et moins de tracasseries bruxelloises sur les sujets locaux; et qu’ils ne sont pas satisfaits de la manière dont l’Europe fonctionne aujourd’hui.

Enfin, au moment où l’Europe célébrait la réussite de sa toute jeune monnaie, l’Argentine s’enfonçait dans le chaos à cause de la mauvaise gestion de la sienne. Une épreuve qui nous donne une troisième leçon: la monnaie est étroitement liée à la politique. L’Argentine avait cru bon d’aligner sa monnaie sur le dollar, à raison d’un peso = un dollar, et de tenir ce cours contre vents et marées. Seulement, voilà: l’Argentine commerce plus avec le Brésil voisin qu’avec les lointains Etats-Unis, et elle n’a aucun moyen d’influence sur les autorités monétaires américaines: à la première crise, ce système artificiel s’est effondré. Tandis que, faisant entre eux l’essentiel de leur commerce extérieur et participant à égalité au sein de la Banque centrale européenne, les douze pays de l’euro ont traversé sans drame économique les soubresauts de l’après-11 septembre.

Il faudra s’en souvenir. Car, une fois l’euro installé, nos douze pays devront coordonner leurs politiques économiques encore plus étroitement qu’ils ne l’ont fait dans la période de préparation. Nous voilà dans le même bateau. Mais nous n’avons pas encore décidé de lui donner un capitaine. Il y a urgence.

Alain Lamassoure, le 17 février 2002