CE QU’ON N’A PAS DIT DE MAI 68

CE QU’ON N’A PAS DIT DE MAI 68

Mai 68 ? Une fronde étudiante, que tout le monde s’est plu à prendre pour une révolution : ça valorisait ses acteurs, ses contempteurs et même ses spectateurs. Un mois de liberté débridée, de violences nocturnes, d’anarchie joyeuse et d’espoirs fous pour les uns, de peur bleue pour les autres, d’incompréhension totale pour la plupart. Etrange révolte, récupérée d’abord par les organisations syndicales, puis dissoute, avec l’Assemblée, dans les urnes démocratiques. Un tremblement de terre politique, qui n’a fait miraculeusement aucune victime, qui a failli emporter l’Etat, mais dont n’a émergé aucun nouveau leader politique, et dont l’effet le plus immédiat a été de renforcer la majorité au pouvoir : la jeunesse parisienne était autant en décalage avec la province qu’avec la génération précédente, et aucun parti organisé n’était en mesure de capitaliser sur le mécontentement des lanceurs de pavés. Opposants au régime, des hommes aussi fins et chevronnés que François Mitterrand et Pierre Mendès-France n’ont rien compris au film, et l’un des plus brillants espoirs de la jeune génération gaulliste, Edgar Pisani, y a compromis son avenir politique.

Qu’en retenir, qu’on ne dit guère ?

1 – La fin du régime gaulliste autoritaire.  

De même que les communistes veillent à ce que les périodes les plus contestables de leur complicité avec le système soviétique soient passées sous silence, ceux qui se veulent héritiers du gaullisme – leur nombre n’a cessé de s’accroître – oublient facilement que le règne du Général ne fut pas sans ombres. François Mitterrand le qualifia de « coup d’Etat permanent » et un important compagnon déçu de « dictature tempérée d’anarchie ». Sans aller jusqu’à ces jugements polémiques, le recul d’un demi-siècle fait voir la démocratie gaullienne comme un régime, disons autoritaire soft. Revenu au pouvoir à la faveur d’une insurrection militaire, de Gaulle a dû en prévenir d’autres, pour mener la guerre d’Algérie jusqu’à sa conclusion aussi inéluctable que douloureuse. De cette paix tardive et amère, il n’a pas su gérer les lendemains. Et dans la continuité de cette période de guerre inavouée et de complots renouvelés, le régime a justifié sans complexe le contrôle rigoureux de la seule chaîne de télévision alors disponible, et il a laissé prospérer des organisations para-policières en marge de la légalité. La province était « tenue » par les préfets, dont on attendait qu’ils « fassent les élections », et, dans chaque département, les RG (« Renseignements généraux ») faisaient fonction de police politique. Non, certes, pour réprimer, mais pour donner au pouvoir toutes informations sur la vie publique et privée de ses soutiens comme de ses opposants locaux : les coffre-fort des préfectures détenaient de puissants instruments de chantage au profit des dirigeants du moment.
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LA COURSE ENTRE LE DROIT, LA SCIENCE ET LES PASSIONS

Discours prononcé au Forum TransEurope Expert, le 12 mars 2018

Le thème du jour, le numérique, nous révèle un des défis majeurs que le droit doit affronter au XXIe siècle : la rapidité du progrès scientifique et technique. Il s’y ajoute la rapidité des changements sociétaux, eux-mêmes induits, mais pas seulement, par le progrès technique. Progrès technique et changements sociétaux obéissant eux-mêmes à des rythmes différents. La démographie africaine explose parce que l’hygiène élémentaire, prénatale, maternelle et infantile s’y est répandue avant que les sociétés locales ne maîtrisent leur fécondité. Trente ans après l’apparition d’internet, notre enseignement secondaire ne sait toujours pas comment intégrer cet outil prodigieux d’accès à l’information et à la connaissance. Et quand progrès technique et changement sociétal avancent au même rythme, c’est le droit qui peine à suivre : nos législateurs et nos juges se grattent la tête devant l’éprouvette contenant un embryon conçu hors du sein d’une femme, bientôt, peut-être, par clonage, voire, comme en Chine aujourd’hui, en ajoutant des gènes animaux.

Et puis, il y a les passions humaines. Nous nous voulons les héritiers de la froide raison de la philosophie grecque, de la sagesse austère des stoïciens ou, plus souriante, d’Epicure. Puis de la religion d’amour du christianisme. Puis de la raison des Lumières, élevés dans le culte de la méthode scientifique. Nous sommes fiers d’avoir éradiqué toute tentation de guerre entre nos peuples. Nous avons cru avoir enfin dompté nos passions collectives. Nous avons haussé les épaules quand l’Américain Fukuyama a proclamé « la fin de l’histoire », mais nous étions convaincus, nous aussi, d’avoir tourné définitivement une page de l’histoire, d’avoir définitivement vaincu l’irrationnel, d’avoir mis fin à l’âge de la folie collective. Au moins chez nous, dans nos sociétés européennes. Mais voilà aujourd’hui que, partout, l’irrationnel se venge. On ne doute pas seulement de la science, on est fier de la récuser. La croissance zéro, l’arrêt de tout progrès économique, la régression de la productivité est le rêve à la mode. L’exotisme et l’archaïsme sont l’alpha et l’oméga de la médecine bobo, les interdits alimentaires réapparaissent, revient le temps des gourous. L’instinct primitif de la recherche d’un bouc émissaire, de la haine de l’autre, qui exprime la haine de soi, resurgit dans nos sociétés les plus modernes, les plus démocratiques et, jusque-là, les plus apaisées.
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LES MALENTENDUS DE LA SUBSIDIARITE

                           LES MALENTENDUS DE LA SUBSIDIARITE

 

Quelle mouche a piqué J. Delors lorsqu’il s’est référé au principe de subsidiarité dans son discours devant le Collège de Bruges du 17 octobre 1989 ? Le mot et le principe ont été appelés à une belle fortune dans le discours communautaire et dans le droit lui-même : reconnaissance par les traités de Lisbonne, avec même la mise en place d’une procédure associant les Parlements nationaux, devenus « gardiens de la subsidiarité ».

Au départ, un principe philosophique et managérial de droit canon. Evoqué pour la première fois par Thomas d’Aquin, plus récemment par Léon XIII en 1891 dans Rerum Novarum. Avec déjà une ambigüité originelle.

D’un côté, et c’est ce qu’on en retient aujourd’hui, le niveau hiérarchique supérieur ne doit pas s’occuper d’un sujet qui peut être traité au niveau inférieur, c’est-à-dire le plus près de la personne concernée. C’est le principe du pouvoir de proximité.

De l’autre, l’Eglise, ou le pouvoir politique, ne doivent pas interférer avec la responsabilité de la famille et de l’individu lui-même, responsable de ses actes devant Dieu. C’est le principe … libéral. Au fond, David Cameron ne disait pas autre chose en évoquant la dévolution au profit de la société civile : remplacer le « Big Government par la Big Society. »
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