Editoriaux d’Alain Lamassoure

 

L’Europe qui protège

« L’Europe qui protège ». C’était le slogan de Nicolas Sarkozy tout au long de sa campagne présidentielle. L’Europe été bâtie pour nous protéger à jamais de la guerre fratricide. C’est désormais acquis. Nous attendons d’elle aujourd’hui qu’elle nous protège des tempêtes mondiales de ce nouveau siècle aussi passionnant que périlleux.

Les crises majeures de cet été ont donné l’occasion au Président du Conseil européen d’en faire la démonstration par les actes.

Le 8 août, les troupes russes franchissaient la frontière georgienne. C’était la première invasion d’un pays indépendant par un grand voisin depuis 1991, lorsque Saddam Hussein avait voulu annexer le Koweït. Dès le 12 août, le Président du Conseil européen était à Moscou, puis à Tbilissi. Les Russes s’arrêtaient à 40 km de la capitale de Georgie. Deux mois plus tard, ils revenaient à leur point de départ. En quatre jours, les 27 gouvernements européens avaient été capables de s’unir derrière Nicolas Sarkozy pour sauvegarder l’indépendance de la Georgie.

Le 15 septembre, la faillite de Lehmann Brothers déclenchait la crise financière. Moins d’un mois plus tard, l’Europe adoptait son dispositif de sauvetage, aussi rapidement que le plan américain. En une seule semaine, l’énergique Président français avait réuni successivement les quatre plus grandes puissances financières d’Europe, puis les 15 pays de la zone euro, puis les 27 chefs de gouvernement, avant d’aller rencontrer George Bush à Camp David, puis les Chinois à Pékin. L’infarctus du crédit est surmonté au prix d’une thérapie révolutionnaire, et la refondation du capitalisme financier est engagée.

Mais la bataille est engagée aussi sur d’autres fronts majeurs.

L’immigration. Voilà treize ans que nous avons supprimé les contrôles aux frontières intérieures de l’Union, et que nos gouvernements tergiversaient pour adopter une position commune vis-à-vis des pays tiers. C’est à l’unanimité que les 27 ont approuvé le principe et les orientations d’une politique commune de l’immigration dans le cadre du pacte européen sur l’asile et l’immigration. L’immigration maîtrisée devient la politique de l’Europe entière, tout comme l’aide au co-développement dans les pays d’origine. Le temps des régularisations massives telles qu’elles ont été pratiquées ici et là au détriment de tous est révolu.

La sécurité énergétique et la protection du climat. Protéger nos consommateurs contre les yo-yo du prix de l’essence, nos industries contre les coupures de gaz de nos fournisseurs ombrageux, la planète elle-même contre les pollutions abusives : c’est l’objectif accepté par tous nos partenaires, avec la volonté d’entraîner les autres grandes puissances, tout en facilitant la conversion de nos producteurs aux méthodes et aux technologies du développement durable.
Le redémarrage de la croissance. Les banques convalescentes mettront du temps à retrouver leur pleine efficacité. Le chœur des lamentations clame que la crise économique est inéluctable. La présidence française refuse les fausses fatalités, et propose des actions communes très nouvelles pour redonner dynamisme et confiance aux consommateurs comme aux producteurs : mettre en place un ou des fonds souverains européens pour protéger les fleurons de notre industrie contre des raids prédateurs, étendre le bonus-malus fiscal au cas par cas, aider la recherche dans l’utilisation des énergies renouvelables.

Enfin, la protection contre les grandes menaces terroristes ou militaires. La guerre a été abolie sur le continent européen, la guerre froide est terminée, mais ce siècle reste un temps de violence et de fureur. Des bombes ont tué dans les métros de Paris et de Londres, comme dans la gare centrale de Madrid. Des Français sont tombés en Afghanistan aux côtés des Anglais et des Hollandais. Les Iraniens seront capables de frapper des cibles européennes bien avant d’atteindre la portée nécessaire pour menacer les Etats-Unis. C’est pourquoi la construction d’une Europe de la Défense, dans le cadre d’un nouveau partenariat avec les Etats-Unis, sera à l’ordre du jour du prochain Sommet de l’OTAN, à Strasbourg, en avril 2009.

Entre-temps, la période de présidence française sera achevée. Jean Monnet aimait à dire : « Rien ne se crée sans les hommes, rien ne dure sans les institutions ». C’est un pur hasard si la crise diplomatique russe et la crise financière ont éclaté à un moment où l’Union européenne était présidée par la France, et quand la France elle-même était dirigée par un homme d’une énergie exceptionnelle. Tant mieux. Mais nous aurons besoin dès l’année prochaine du traité de Lisbonne, qui donnera à l’Union la présidence permanente et la légitimité démocratique absolument nécessaires pour poursuivre sur cet élan, même lorsque la conjonction astrale sera moins favorable. Pour parachever l’Europe qui protège.

Alain LAMASSOURE, le 21 octobre 2008

Yes, there really is a European Union. Ask Russia!

A page of history is turning. After some 20 years in transition, the new international chessboard is finally taking shape. As in 1991, when the first Gulf War was the curtain-raiser for a new world, freed from Soviet communism and dominated now by just one superpower, the brief Russian/Georgian conflict has shed a raw light on a new landscape hitherto not fully apprehended.

The multipolar world is a reality. Historians will use pictures from the Olympic Games in Beijing to illustrate the extraordinary rise of the ‘Middle Kingdom’, but India and Brazil too are shaping up as global players, in the World Trade Organization and beyond it. Russia, meanwhile, is reasserting itself by resorting to methods of international politics which we thought had gone out with the Soviet Union. In a painful sort of symmetry, and despite its hugely increased budget, the USA is demonstrating the limitations of military might as it pays the price of its bizarre illogic in turning an effort to combat crazed Islamic fundamentalists into a ‘clash of civilisations’.

War – real, bloody war – has made a comeback. Admittedly the world has not actually been at peace since the end of the Cold War: apart from the whole succession of conflicts in the Balkans and the Middle East, there have been less televised, though much more murderous, struggles, including the civil war in the Congo, where the flames of hatred were fanned by neighbouring countries and more than five million people were killed at the beginning of the new millennium. Yet still we continued to drift along in a bubble of high-minded pacifism, firmly convinced that by stamping out the virus of aggression in the nations that had spawned two world wars we had done enough to ensure perpetual peace. War was an outdated, unfashionable activity, a relic of the past – now to be found only among the unfortunates of the developing world. And we were gradually getting over it there too, with the help of humanitarian aid and UN peacekeeping missions, whose casualty rates were roughly similar to that of a busy fire brigade. Seven years after the destruction of the Twin Towers, however, the threat of Al Qaeda still hangs over our capital cities. Dozens of British, Canadian and now French soldiers have fallen in Afghanistan, without preventing the Taliban from regaining substantial tracts of lost ground. The President of Iran is no longer content to threaten Israel with nuclear attack: he is developing missiles capable of targeting European town and cities, and using our airspace for strikes on the United States, thus placing Europe in the front line of America’s anti-nuclear defences. The Russian response has been to put European disarmament deals on ice. And now, in a shocking and grimly symbolic development, the Russians and Georgians have used their respective ‘peacekeeping’ contingents to wage open warfare!

From our obsessive preoccupation with the only ‘politically correct’ form of warfare – the war against climate change – and our readiness to follow Costa Rican President Oscar Arias Sanchez in declaring ‘peace with nature’, having already declared it with all mankind, we have been brought down to earth with a bump. Literally to earth, to the reality of life on this planet where military expenditure everywhere outside Europe is burgeoning – its growth rates often in double figures. To earth, where everywhere outside Europe (and a very few other places such as Japan), war is still seen as a form of ‘politics by other means’: disagreeable, certainly, but also inevitable. Suddenly the job of soldiering no longer seems old-fashioned; its old grim grandeur has been restored. It is even possible that military spending will soon cease to be regarded as an unacceptable waste.

There is also another telling change that has its source in Europe.

The EU has now managed to ‘digest’ its most recent enlargement. It has designed the new institutions that it needs and it aims to introduce them next year. Its currency has become the strongest in the world. It has demonstrated its vision and its capacity for leadership in launching the fight against global warming. It has finally learned the lessons of its fratricidal divisions over Iraq. Even its most naïve members have had their eyes opened by the cynicism of Russia in manipulating its gas reserves and resorting to arms from a position of strength. And – in a benign twist of fate – a leader of the calibre of Nicolas Sarkozy has taken the helm in Europe at a critical juncture of international crises, just as Washington, labouring through a presidential twilight zone, finds itself sidelined. Suddenly, there really is a European Union!

Russia – accustomed to playing off divergent interests and selfish rivalries among the European countries – has, for the first time, encountered a united front. The EU was united in supporting the six-point peace plan for Georgia; united on suspending negotiations with Moscow until the plan was fully implemented; united on consolidating Georgia’s independence politically and economically; and united in extending its protective arm to Ukraine, the declared next target of Russian resentment. It has been united too in espousing a policy of energy-source and supply diversification, whereas only days previously and despite its stated ambitions it was stuck in ‘every man for himself’ mode. Moscow thought it had embarked on a bought of diplomatic arm-wrestling with Washington and NATO, but its real opponent has proved to be the European Union.

Of course this solitary, unexpected swallow does not make a European summer. There will be plenty of opportunities for the united front to crack: the position of the Council presidency will remain vulnerable until it achieves the permanence that the Lisbon Treaty would give it; and so long as Europe’s diplomatic ambitions are not matched by an appropriate military resource, it cannot be a front-ranking political player. Nonetheless – for the first time – the Union has acquired real substance. It has dared to oppose its most powerful neighbour. In a few months time, the European elections will confer full democratic legitimacy on its existence and its new policy. What we have seen so far is only a rough outline on a blank page, but a new chapter is nonetheless beginning.

Alain Lamassoure, 4th September 2008

Three cheers for the oil price hike!

Fear of global warming has led us to invent a new planet-wide doctrine.

It consists of half a dozen observations, analyses, conjectures and conclusions that have come to be presented as an indivisible whole, although it is useful to consider them separately for they do not all carry the same scientific weight. They are as follows.

The earth’s average temperature has been rising ever since the Industrial Revolution, with a very marked acceleration in recent decades; this phenomenon is largely a result of human activity producing CO2 emissions that accumulate in the upper atmosphere and cause a ‘greenhouse effect’; the consequences are catastrophic and irreversible for the earth in general and the human race in particular, with the poorest countries in the front line; neither the inherent biological forces of plant and animal life (mutation, migration or the emergence of new species) nor human societies’ traditional avenues of recourse (to migration, scientific innovation or tried-and-tested market mechanisms) are capable of offsetting – never mind halting – the literally apocalyptic process that is now under way; humanity as a whole therefore needs to make an unprecedented effort, entailing radical changes in methods of production and ways of life; if our generation can pull that off, the apocalypse will be averted.

These six premises enjoy the level of acceptance in Europe, and particularly in France, that used to be reserved for the Ten Commandments: they are articles of religious faith. The analogy may disconcert some readers in our supposedly secular society, but what, short of religious faith, can explain our collective acceptance of this six-link conceptual chain – for to question any one link is to pull the whole construct apart – and our interpretation of it as a moral, rather than a political, imperative? In this new religion, the prophets of the godless gospel are elevated to the modern equivalent of sainthood – beatification by television – while the few unbelievers are condemned to the direst form of contemporary torment: they are flung to the media lynch mob. Doesn’t it feel good, for instance, thoroughly to despise Claude Allègre, a geologist bold enough to esteem his science above the holy images venerated on our TV screens!

Alright then! Let us agree – as an alternative to lynching – to share in this mystic revelation on an unprecedented scale. Let us decide to see it as the first expression of a genuine desire for worldwide solidarity. Let us rejoice that, just as the dawn of globalisation breaks around us with all its attendant risks of conflict and crisis, we can make a spontaneous response, pulling the whole world together in a miraculously peaceful common endeavour. Let us marvel at the scientific community, the churches and even the multinationals – those normally discordant voices – singing from the same hymn sheet in a harmonious global refrain. Let us bear in mind that many human projects – from the building of the pyramids through major discoveries to the conquest of space – have been inspired by passion rather than pure reason, and that there are few examples of inspiration as non-belligerent as this. Let us extend the benefit of the doubt to the learned meteorologists who apply the precautionary principle, on the one hand, to claim only 50% probability for their own seven-day forecasts and, on the other, to predict the global temperature in the year 2100 with total certainty. Let us be neither doubting Thomases nor grumpy party-poopers! No. Let us join with the rest and bask in the glow of brotherly consensus.

And let us raise our first ‘hallelujah’ – for the price of oil, brothers, is ascending, faster even than the temperature of the atmosphere! The earth is saved!

The earth is saved because, since the climate gurus met in Rio and Kyoto to conclude regretfully that the short-term economic interest driving a CO2-emitting energy binge was irreconcilable with the long-term interest of the planet, the price of our ‘dirty’ energy has risen tenfold! And the cream of our economic experts and industrial leaders are now telling us that we must come to terms with expensive energy as part of our way of life.

The earth is saved because this general rise in the price of hydrocarbons has occurred spontaneously, affecting all forms of energy, worldwide. It afflicts Americans and Europeans, Chinese, Indians and Brazilians alike. It has created the possibility of immediate action to counter global warming without the risk of displacing production and jobs. It has put the whole world on a ‘good behaviour’ warning and has aligned our selfish small-time concerns with our highest human aspirations. Industry, the transport sector, farmers, motorists and families all have good reason now to save energy and to pursue ‘clean energy’ options.

Yet the genuine enthusiasm of the newly converted is hard to sustain for, instead of other voices hailing the victory, what do we hear? This unexpected blessing has been greeted with grumbling from manufacturers, discontent among consumers, indignation on the part of the most energy-hungry trades, and determined promises from governments to nip the whole thing in the bud: overnight, the very brains that were busy inventing taxes to penalise ‘dirty’ energy have been redeployed devising fiscal mechanisms to make it cheaper!

Understandably, the suddenness of the oil-price hike caught us off guard and the swiftness of its impact might well be considered problematic at a time when our key concern is with purchasing power. But if the earth truly faces the threat as depicted, then surely this is a wonderful opportunity for teaching us to mend our ways! And would it not be splendidly serendipitous if – for the unexpected reason that fossil fuels are in relatively short supply – the market price alone managed, at a stroke, to produce the very outcome we had dreamed of achieving through long years of effort: the conversion of our societies from the principle of waste to that of sustainable development?

Permit me, with all the humility of the recent convert, to put two suggestions to our high priests.

First, let us be bold enough – on this subject as on others – to be honest. For too long, politically correct messages about construction standards, cleaner energy options, environmental charges, green taxation systems and the need to counter competitive currency devaluation have sustained the notion that, if we listen and learn, we can save the planet through good behaviour alone: by sorting and recycling our rubbish, by using environmentally friendly cosmetics or converting our fuel-hungry ‘fair-trade’ 4x4s from diesel to LPG. But all that, of course, is dishonest! The Kyoto process and the cross-party consensus on environmental challenges come with a price tag, as will the agreement to be reached, with luck, in Copenhagen next year. Companies will pay the price as their costs increase, families will pay it as the cost of accommodation rises, along with transport, heating and food costs. No one would dispute the need to spare the most vulnerable from the worst of the burden, yet surely we never imagined that this radical transformation of our production systems and our way of life could be achieved at zero cost!

Whether the inevitable extra expense is imposed through regulation or taxation, or whether it is simply reflected in market prices, the dent in our profits and purchasing power will be the same.

There is, however, one important difference: only by relying on market prices can we ensure that the necessary effort is fairly shared across all nations and all sectors of the economy.

And that brings me to my second suggestion. Given the fortuitous reality that the market, all by itself, is in the process of imposing the greatest, most widespread and fairest of the constraints deemed necessary for the planet’s salvation, might we not at least review the perceived need to persist with the bureaucratic, taxation-based and unilaterally European policies we have been pursuing for some years now? A clearly understood agreement with the countries that produce polluting fuels – not to cut their prices but, on the contrary, to keep them permanently high – might spare us the Kafkaesque exercise of introducing an arbitrary system to distribute ‘pollution rights’, with the attendant risk of eliminating from Europe not just pollution but also jobs. More generally, it might spare us a mountain of red tape and a deluge of so-called environmental taxes – not to mention torrents of moralising verbiage – all rendered redundant simply by pegging the price of oil above 100 dollars a barrel!

Alain Lamassoure, 21st July 2008

Vive le pétrole cher!

Avec la crainte de l’effet de serre, nous avons inventé la « pensée unique » planétaire.

On peut la décomposer en une demi-douzaine d’observations, analyses, conjectures et conclusions présentées désormais comme un tout indissociable, mais qu’il n’est pas inutile de distinguer car elles n’ont pas toute la même valeur scientifique. Rappelons-les.

La température moyenne de la terre se réchauffe depuis le début de l’âge industriel, avec un accélération très sensible sur les dernières décennies ; ce phénomène est principalement due à l’activité humaine, à travers les émissions de CO2, dont l’accumulation en haute atmosphère provoque un « effet de serre » ; ses conséquences sont catastrophiques et irréversibles pour la terre en général, l’espèce humaine en particulier, et les pays pauvres en tout premier lieu ; ni les forces biologiques de la vie végétale et animale (mutations, migrations, éclosion d’espèces nouvelles), ni les moyens habituels des sociétés humaines (migrations, créativité scientifique, mécanismes traditionnels du marché) ne pourront compenser, ni, a fortiori enrayer, cette évolution proprement apocalyptique ; l’humanité tout entière doit donc se mobiliser dans un effort sans précédent, comprenant un changement radical de ses modes de production et de ses modes de vie ; si l’actuelle génération y parvient, l’apocalypse sera évité.

Ces six postulats sont acceptés en Europe, et spécialement en France, comme le fut, en d’autre temps, le décalogue de Moïse : avec une foi religieuse. La formule choquera les laïques que nous prétendons être, mais seule une inspiration de cette nature peut expliquer l’adhésion en bloc aux six maillons de la chaîne – la mise en doute d’un seul ferait s’effondrer toute la démonstration – et sa déclinaison comme une exigence bien moins politique que morale. C’est une nouvelle forme de foi qui élève au pinacle d’aujourd’hui – la « sainteté » télévisuelle – les prophètes inspirés de cet évangile sans dieu, et qui réserve aux rares impies le pire supplice de notre temps : le lynchage médiatique. Qu’il est doux de haïr Claude Allègre, un géologue qui ose placer sa science au-dessus de la foi des fabricants d’images (télé) pieuses, avec une malignité qui a tout de luciférien !

Eh bien, soit ! Acceptons de communier, hormis le lynchage, dans cet élan mystique d’une échelle sans précédent. Décidons d’y voir la première manifestation d’une volonté de solidarité authentiquement planétaire. Réjouissons-nous de constater qu’à l’aube de la « mondialisation », qui comporte tellement de risques de conflits et de drames, une réponse spontanée est proposée pour rassembler le monde entier dans un projet commun, miraculeusement pacifique. Admirons que la communauté scientifique, les églises, et même les multinationales joignent leurs chœurs, habituellement discordants, à l’harmonie du concert global. Souvenons-nous qu’après tout, de la construction des pyramides à la conquête spatiale, en passant par les grandes découvertes, bien des grands projets humains devaient plus à la passion qu’à la raison pure, et que bien peu étaient d’une inspiration aussi irénique. Renonçons à douter de ces météorologues savants, que le même principe de précaution conduit à réduire à 50% la probabilité de leurs propres prévisions pour la fin de la semaine, et à accorder 100% à celle de la température annoncée pour la fin du siècle. Refusons la mesquinerie de Saint Thomas et le rôle grincheux du rabat-joie. Plongeons, nous aussi, dans l’eau lustrale de ce consensus rassembleur.

Et poussons notre premier « Alléluia ! » : le prix du pétrole augmente, augmente, augmente plus vite que la température de l’atmosphère ! La terre est sauvée !

La terre est sauvée puisque, depuis que les gourous du climat se sont réunis à Rio, puis à Kyoto, pour se désoler de constater que l’intérêt économique à court terme, poussant à gaspiller l’énergie émettrice de CO2, était contraire à l’intérêt planétaire à long terme, le prix de cette énergie « sale » a été multiplié par dix ! Et voilà que les meilleurs spécialistes, économistes et industriels, nous disent qu’il nous faut nous habituer à vivre durablement avec cette énergie chère.

La terre est sauvée, parce que cette hausse générale du prix des hydrocarbures, s’étend spontanément à toutes les sources d’énergie et au monde entier. Elle frappe les Américains comme les Européens, les Chinois et les Indiens comme les Brésiliens. Elle rend possible l’action immédiate pour lutter contre l’effet de serre, sans courir le risque de délocaliser les activités et les emplois. Elle place tout le monde devant l’obligation de la vertu. Elle réconcilie nos égoïsmes à la petite semaine et la plus haute de nos ambitions humaines. Industriels, transporteurs, agriculteurs, automobilistes, familles : chacun a désormais intérêt à économiser l’énergie, et à opter pour des formes d’énergie propres.

Et pourtant, l’enthousiasme sincère du néophyte retombe vite : en-dehors de lui, personne ne crie « victoire » ! Au contraire, cette aubaine inattendue suscite ronchonnements chez les producteurs, mécontentements chez les usagers, indignations dans les métiers les plus énergétivores, et engagements déterminés des gouvernements à y mettre fin : du jour au lendemain, l’imagination employée à trouver des impôts pour pénaliser l’énergie « sale » est reconvertie dans la recherche de solutions fiscales pour la rendre moins chère !

On peut comprendre que la brutalité de la hausse ait surpris, et que ses effets trop rapides aient été jugés inopportuns à un moment où la préoccupation majeure portait sur le pouvoir d’achat. Mais si la planète est aussi en danger qu’on le dit, quelle formidable occasion de faire la pédagogie nécessaire ! Et quelle conjoncture inespérée si, pour des raisons imprévues – la relative pénurie d’hydrocarbures -, le prix de marché produit tout seul et tout de suite le résultat que l’on rêvait d’atteindre au bout de longues années : la reconversion d’une société de gaspillage vers une société de développement durable.

La naïveté du nouveau converti permet-elle de faire deux suggestions à nos grands prêtres ?

D’abord, sur ce sujet aussi, osons dire la vérité. Le discours politiquement correct sur les normes de construction, le choix des énergies douces, les éco-taxes, la fiscalité verte, la correction du dumping monétaire aux frontières, a trop longtemps entretenu les auditeurs dans l’idée qu’ils pourraient sauver la planète au prix de la seule vertu, par les efforts citoyens du tri sélectif quotidien, du recours à la cosmétologie « bio », et du remplacement du diesel par le GPL pour alimenter la soif inextinguible de leur 4×4 « commerce équitable ». Eh bien, non ! Le processus de Kyoto, le « Grenelle de l’environnement », comme, demain, les accords espérés à Copenhague auront un coût, et un coût élevé. Les entreprises le paieront en augmentation de leurs prix de revient, les familles le paieront en logements plus chers, en transports plus chers, en chauffage plus cher, voire en aliments plus chers. Qu’il faille éviter que les plus fragiles en supportent une part excessive, qui le contesterait ? Mais comment pouvions-nous croire qu’une transformation aussi radicale de notre mode de production et de notre façon de vivre aurait pu ne rien coûter à personne ?

Que ce coût supplémentaire soit imposé par la réglementation, qu’il soit l’effet d’un impôt, ou qu’il résulte tout simplement du prix du marché, de toute façon il réduira d’autant les bénéfices et le pouvoir d’achat.

Avec, toutefois, une différence importante : le prix du marché est le seul moyen d’assurer l’égalité de tous les pays et de toutes les activités devant l’effort nécessaire.

D’où la seconde suggestion. Puisque, par un heureux hasard, le marché est en train de réaliser tout seul la plus forte, la plus générale et la plus équitable des contraintes jugées nécessaires au sauvetage de la planète, ne faudrait-il pas au moins se demander s’il est encore nécessaire de poursuivre dans la voie bureaucratique, fiscale et unilatéralement européenne dans laquelle nous nous sommes engagés depuis plusieurs années ? Un accord bien compris avec les pays producteurs, non pas pour réduire le prix des énergies polluantes, mais, au contraire, pour le maintenir durablement à un niveau élevé, pourrait nous éviter de mettre en place un système kafkaïen de répartition arbitraire de « droits à polluer », qui risque de chasser hors d’Europe les emplois industriels en même temps que la pollution. Plus généralement, il pourrait nous épargner une montagne de réglementations administratives contraignantes, une cascade d’impôts dits « écologiques », et des torrents de sermons moralisateurs, que le baril à plus de 100 dollars rend, tous, inutiles.

Alain LAMASSOURE, le 21 juillet 2008

Is Europe to be about treaties or about people?

Extract from Alain Lamassoure’s letter to the President of France on the conclusions of his mission to investigate ‘Citizens and Community law’:

‘Recent referendums and opinion polls confirm that many ordinary people are dissatisfied with the way that Europe works.

One reason for this is obvious: the votes that they cast in European elections do not carry enough weight. The real decision makers in Brussels are the national leaders, who are elected solely on the basis of national domestic politics. As for the European Commission, originator of all Community policies, it comes across as a caucus of learned top-flight civil servants who are a law unto themselves. The Lisbon Treaty will radically transform this system by putting power in the hands of the people: they will elect the real law-makers for Europe (the Members of the European Parliament in Strasbourg, which will acquire full legislative authority) and the head of the EU executive (the future President of the Commission).

But that in itself will not be enough. It is time – high time – that the Union put its citizens at the heart of its policy making, for they seem thus far to be merely a secondary consideration, of less importance than the completion of the single market.

The research I carried out in the spring of this year, at your request, Mr President, revealed just how much ground civic Europe must make up to keep pace with corporate Europe.

A particular issue is the fact that, 50 years on from the Treaty of Rome, Europeans who need to reside in a Member State other than their country of origin still face a mass of legal and practical problems, many of which do not even fall within the Union’s field of responsibility.

When relatively few people were affected by these problems they were not of prime importance, but they have mushroomed with the explosion of personal mobility inside the Union. The combined effects of international investment, university exchanges, tourism, the development of low-cost air travel, the transhumance of northern European retirees to sunnier climes and, last but by no means least, the rising incidence of cross-border marriage have brought to tens of millions the number of Europeans leading their lives in more than one country and increasingly regarding the whole of Europe as their living space. These people can no longer be overlooked.

My research pinpointed shortcomings and malfunctioning at every stage in the preparation and application of European laws: from their initial conception and their transposition into domestic legislation, through information for the administrative bodies theoretically responsible and information for the public, to the handling of individual cases and the options for seeking redress, whether informally or in the courts.

It is obvious that we have yet to build a people’s Europe and that it can only be built on a radically new basis: starting at the grass roots, with real people rather than a centralised, all-embracing vision; and starting with the foreseeable future of the young Europeans – our own children – who will have to share this continent, rather than starting in the past or from our current situation, as we have always done before. Such an approach will demand that we overturn our entire way of working and begin to question certain principles or concepts that have, until now, underpinned the development of what is an economy-fixated Europe.

Looking beyond the French Presidency, therefore – although there is also scope for many proposals within that period – we shall have plenty of food for more sustained thought and discussion, particularly in the “Committee of Wise Men” [Reflection Group] that has been established at your initiative, Mr President. The remit to that body from the European Council of 14 December 2007 stipulates that: “Particular attention should be given to ways of better reaching out to citizens and addressing their expectations and needs.”

Alain Lamassoure, 26th June 2008

Pour plus d’informations sur la mission d’Alain Lamassoure et sur ses conclusions, cliquez ici.

De l’Europe des Traités à l’Europe des Européens

Extrait de la lettre adressée par Alain Lamassoure au Président de la République sur les conclusions de sa mission sur « Le citoyen et le droit communautaire »:

« Les référendums récents et les sondages confirment l’insatisfaction de beaucoup de citoyens envers la marche de l’Europe.

Une première raison est évidente. Jusqu’à présent, l’Europe n’a pas été à portée de leurs bulletins de vote. Les vrais décideurs à Bruxelles sont les dirigeants nationaux, qui sont élus sur les seuls enjeux de la politique intérieure. Et la Commission européenne, qui inspire toutes les politiques communautaires, apparaît comme un aréopage de super hauts fonctionnaires échappant à tout contrôle. Le traité de Lisbonne transformera radicalement ce système, en donnant le pouvoir aux citoyens : ce sont eux qui éliront les vrais législateurs européens (le Parlement de Strasbourg, qui obtient la plénitude du pouvoir législatif) et le chef de l’exécutif européen (le futur Président de la Commission).

Mais cela ne suffira pas. Il est temps, il est grand temps que l’Union mette les citoyens au coeur de ses politiques, alors qu’ils n’apparaissent aujourd’hui qu’une préoccupation seconde, derrière la réalisation du marché intérieur.

En effet, l’enquête à laquelle j’ai procédé en ce printemps à votre demande, a révélé l’importance du retard pris par l’Europe des citoyens par rapport à l’Europe des entreprises.

En particulier, plus de cinquante ans après le traité de Rome, les Européens appelés à séjourner dans un Etat de l’Union étranger à leur pays d’origine rencontrent encore d’innombrables problèmes juridiques ou pratiques, dont une grande partie ne relève d’ailleurs pas de la compétence communautaire.

Secondaires tant que les intéressés n’étaient que peu nombreux, ces problèmes s’accroissent de manière exponentielle avec l’explosion des mouvements de personnes au sein de l’Union: les effets additionnés des investissements internationaux, des échanges universitaires, du tourisme, du développement des compagnies aériennes à bas coûts, de l’attirance des seniors septentrionaux pour les cieux méridionaux, et surtout, de plus en plus, des unions familiales transfrontalières aboutissent dès aujourd’hui à chiffrer à plusieurs dizaines de millions les Européens dont l’espace de vie dépasse le cadre national et s’étend, peu à peu, à toute l’Europe. Il n’est plus possible de les ignorer.

L’enquête a permis d’analyser les insuffisances ou dysfonctionnements à tous les stades de l’élaboration et de l’application des lois: conception initiale, transposition en droit interne, information des administrations théoriquement compétentes, information du citoyen, traitement des dossiers individuels, et possibilités de recours, amiables ou contentieux.

La conclusion évidente est que l’Europe des citoyens reste à construire, et qu’elle ne pourra l’être que sur des fondements radicalement nouveaux : partir de la base, des personnes elles-mêmes, et non d’une vision centrale globale; et partir de l’avenir prévisible de ces jeunes Européens – nos enfants – appelés à peupler le même espace continental, et non de la situation passée ou présente, comme on l’a toujours fait jusqu’à présent. Cela exigera une révolution profonde de nos manières de travailler, et une remise en cause de certains principes ou concepts sur lesquels l’Europe, trop exclusivement économique, s’est développée jusqu’à aujourd’hui.

C’est dire qu’au-delà de la période de présidence française de l’Union, pour laquelle beaucoup de propositions peuvent être faite, il y aura matière à engager des réflexions et des débats de plus long terme, notamment dans le cadre du « Comité des sages » dont vous avez obtenu la création: le mandat adressé à celui-ci par le Conseil européen du 14 décembre dernier l’invite à « accorder une attention particulière aux moyens de mieux s’adresser aux citoyens et de répondre à leurs attentes et à leurs besoins ». »

Alain LAMASSOURE, le 26 juin 2008

Pour plus d’informations sur la mission d’Alain Lamassoure et sur ses conclusions, cliquez ici.

Referendums are for taking historic decisions, not for letting off steam

In the Irish referendum on the Lisbon Treaty, as with the French referendum of May 2005, the real issue had nothing to do with the text that was put to the vote — the ‘no’ campaigners did not criticise it in substance — and nor was it about a so-called ‘divorce’ between ordinary people and the European Union, for the Irish recognise that no other nation has gained so much, financially, economically, politically and indeed historically, from membership of Club Europe. That is clear from all opinion-poll findings as recently as three months ago, and it will be clear again three months from now. So what is the problem?

The real obstacle we have come up against is the method of ratification, which has three crucial flaws.

The first and most glaring – although strangely the least discussed until now – is the requirement of unanimity. A European treaty cannot come into force until it has been signed and ratified by all the Member States. That was workable in a Europe of six nations. With 27 member countries the task becomes near impossible and the fate of Union hangs on the whim of the most Euro-sceptical, or simply the shakiest, government of the day.

The second flaw is the fact that each Member State is free to choose the timetable and method for its own ratification of a treaty. National leaders thus have to rise to the challenge in a state of disarray, ignoring the inevitable reality that each country is dependent on what happens in the other countries and that, conversely, each country’s decision will affect all the others. The result is, at best, a sense of unease with the process or, at worst, failure. The unease reflects the fact that all the citizens of the Union are not being treated equally: it seems as if those called upon to vote are casting their votes on behalf of all the others. Failure results from the inherent disadvantages of the referendum procedure.

Here we come to the third flaw in the system. It is no accident that dictators are so fond of referendums. There is no other procedure that so readily lends itself to misinterpretation of a popular vote either for or against a government.

The proper way to use referendums in a democracy is hold a couple of them every hundred years, or else a couple every year: in the first scenario, the voters clearly understand that their choice will be a historic one; in the second, the procedure is a familiar aspect of legislation by the people, and they learn to answer the question that is being asked, and only that question. In between these two extremes, referendums are used either as plebiscites or as tools in the pursuit of unrelated causes: the anti-European press campaign in Ireland focused on farming problems, the government’s lack of credibility in the wake of a financial scandal, and irrelevant debates about abortion, euthanasia and NATO! Similarly in France three years ago the ‘no’ camp rode a wave of discontent about the Bolkestein (services) directive, Turkey’s bid for EU membership and an unpopular government. Both the system and the context encourage the electorate to use their ballot papers as a means of sounding off, rather than participating in a decision, and the complacent received wisdom is that there will always be a ‘Plan B’.

Yet if there is one conviction uniting supporters of both federalism and national sovereignty it is that, while a country may be sole master of its own destiny, no country is empowered to determine the fate of another. The four million citizens of Erin’s green isle are free to decide whether or not they themselves will venture further with Europe, but they may not take a decision on behalf of the 495 million Europeans who live in the 26 other Member States.

Ought we, therefore, to renounce referendums forever as a method of advancing European integration? By no means, but we shall have to ensure that people understand they are being asked to take a historic decision, and not simply to let off steam. Which brings me back to my previous point. Either a European treaty is a legalistic arrangement without impact on the nature of the Union – in which case ratification by the national parliaments would be the logical procedure – or else it significantly alters the Union in terms of its substance (foreign and defence policy, for example), its ambition (with a genuine Constitution) or its composition (enlargement to include Turkey comes to mind here). In the latter case the decision can legitimately be put to a referendum: not in this country or that country but in every Member State, on the same day and on the understanding, announced in advance, that the treaty will apply if a substantial majority of countries (three-quarters or four-fifths) approve it. Those who reject it will not be able to prevent the others from going ahead. The issue will thus be a European one, the debate will be conducted at European level, and the outcome will indicate the only sort of Europe that is feasible.

This article by Alain Lamassoure appeared in Le Figaro on 16 June 2008.

Non au référendum défouloir, oui au fondateur !

Comme dans le référendum français de mai 2005, ce qui est en cause dans le référendum irlandais, ce n’est ni le texte soumis au vote — la campagne du non n’a pas critiqué le fond — ni même un soi-disant divorce des peuples avec l’Europe : les Irlandais savent qu’aucun pays n’a autant profité financièrement, économiquement, politiquement et même historiquement de son appartenance au club européen. Tous les sondages le montraient il y a encore trois mois, et le remontreront dans trois mois. Alors ?

Le vrai obstacle sur lequel nous butons, c’est sur la méthode de ratification. Elle comporte trois défauts rédhibitoires.

Le premier, le plus flagrant, et, curieusement, celui dont on a le moins parlé jusqu’à présent : l’obligation de l’unanimité. Un traité européen ne peut entrer en vigueur que s’il est signé et ratifié par tous les États membres. C’était jouable dans l’Europe des Six. À 27, la tâche devient quasiment insurmontable : le sort de l’Union est lié à l’humeur du gouvernement le plus eurosceptique ou le plus fragile du moment.

Le second défaut, c’est le choix laissé à chaque État membre du calendrier et de la méthode de sa ratification. Les dirigeants se condamnent à affronter l’épreuve dans le désordre, sans prendre en compte le fait que chaque pays dépend de ce qui se passe chez ses voisins et que, inversement, sa décision affecte tous les autres. Ce désordre conduit, au mieux au malaise, au pire à l’échec. Le malaise, car tous les citoyens ne sont pas traités de manière égale dans l’Union, ceux qui sont appelés à voter donnant l’impression de s’exprimer au nom de tous les autres. L’échec, à cause des inconvénients liés à la procédure elle-même du référendum.

C’est la troisième faille du dispositif. Ce n’est pas un hasard si le référendum est la procédure la plus prisée par les dictateurs. Aucune ne se prête à un tel détournement d’interprétation du vote populaire, soit en faveur, soit contre les gouvernants du moment.

Le bon usage démocratique du référendum, c’est d’en faire deux par siècle, ou deux par an : dans le premier cas, le peuple comprend le caractère historique de sa décision, dans le second les citoyens-législateurs prennent l’habitude de répondre à la question posée, et seulement à elle. Entre les deux, le référendum est utilisé comme un plébiscite, ou instrumentalisé pour d’autres causes : en Irlande, la campagne de la presse antieuropéenne s’est concentrée sur les difficultés de l’agriculture, le discrédit d’un gouvernement ébranlé par un scandale financier, et un débat hors sujet sur l’avortement, l’euthanasie et l’Alliance atlantique ! Tout comme en France, il y a trois ans, les «nonistes» avaient surfé sur la directive Bolkestein, la candidature turque et l’impopularité de nos gouvernants de l’époque. Le système et le contexte poussent les électeurs à utiliser leur bulletin de vote comme un moyen d’expression, et non comme une participation à la décision «il y aura toujours un plan B», lui murmure-t-on complaisamment à l’oreille.

Or, il est une chose sur laquelle fédéralistes et souverainistes s’accordent : un pays est seul maître de son destin, mais il n’est pas habilité à décider du destin des autres. Les 4 millions de citoyens de la verte Erin sont libres de décider s’ils veulent continuer de participer à l’aventure mais ils ne peuvent pas se prononcer pour les 495 millions d’Européens qui vivent dans les 26 autres pays de l’Union.

Est-ce à dire que le référendum est à proscrire à jamais pour construire l’Europe ? Non point, mais il faut s’assurer que les citoyens comprennent qu’ils ont entre leurs mains une décision historique, et non une occasion de se défouler. De deux choses, l’une. Ou bien un traité européen est un aménagement juridique qui ne change pas la nature de l’Union : le plus logique sera alors de le soumettre à la ratification parlementaire. Ou bien il constitue un changement majeur dans le contenu (par exemple, la politique étrangère et de défense), l’ambition (une vraie Constitution) ou la composition (élargissement à la Turquie) de l’Union. Il sera alors légitime de le soumettre à référendum, non pas ici et là, mais dans tous les pays le même jour. En annonçant à l’avance que le traité s’appliquera si une large majorité de pays l’approuvent (3/4 ou 4/5e), et que ceux qui le refusent n’auront pas la possibilité d’empêcher les autres d’y participer. Alors, l’enjeu sera européen, le débat sera européen, et le résultat dessinera la seule Europe faisable.

Article publié par Alain Lamassoure, dans « Le Figaro » du 16 juin 2008.

L’Europe existe: la Russie l’a rencontrée

Une page se tourne. Après une vingtaine d’années de transition, un nouvel échiquier international est en train de se mettre en place. Tout comme, en 1991, la première guerre du Golfe avait marqué l’apparition d’un monde nouveau, libéré du communisme soviétique et dominé par une seule super-puissance, le bref conflit russo-géorgien jette une lumière crue sur un paysage inédit que, jusqu’alors, l’on distinguait mal.

C’est fait : le monde est multipolaire. Dans les livres d’histoire, les images des J.O. de Pékin illustreront l’extraordinaire promotion de l’Empire du Milieu. Mais l’Inde et le Brésil se donnent aussi les moyens d’une politique mondiale, et pas seulement à l’OMC. Pour sa part, la Russie renaît en réintroduisant dans la politique internationale des méthodes que l’on croyait disparues avec l’Union soviétique. Symétriquement, en dépit d’un formidable accroissement de leur budget, les Etats-Unis font péniblement la démonstration des limites de la puissance militaire, et payent l’invraisemblable contresens qui les a conduits à transformer la lutte contre les « fous d’Allah » en une « guerre des civilisations ».

La guerre, justement, la vraie, est de retour. Certes, le monde n’a jamais été en paix depuis la fin de la guerre froide. Il y a eu les nombreux conflits successifs dans les Balkans et le Moyen-Orient, mais aussi des affrontements moins médiatisés, et bien plus meurtriers : à elle seule, la guerre civile du Congo, attisée par ses voisins, a tué plus de cinq millions de personnes au début des années 2000. Mais nous vivions dans un bulle irénique, profondément convaincus que le fait d’avoir vaincu le virus belliqueux chez les fauteurs des deux guerres mondiales suffisait à nous assurer la paix perpétuelle. La guerre ? Une activité archaïque, démodée, une survivance limitée à de malheureux peuples en développement. On en venait à bout par des opérations humanitaires et des expéditions de « casques bleus » à peine plus meurtrières que la lutte contre l’incendie. Mais, sept ans après la destruction des Twin Towers, la menace d’Al Qaeda continue de peser sur nos capitales. En Afghanistan, Anglais, Canadiens, et maintenant Français sont tombés par dizaines sans pouvoir empêcher les talibans de reprendre une grande partie du terrain perdu. Le Président iranien ne se « contente » plus de menacer Israël de la foudre nucléaire: il développe des missiles qui feront de nos villes une cible possible et de notre ciel un trajet potentiel pour frapper les Etats-Unis, plaçant ainsi notre continent en première ligne de la défense anti-nucléaire américaine. Les Russes répliquent à cette défense en gelant les accords de désarmement qui concernent le théâtre européen. Enfin, événement stupéfiant et terrible symbole, voilà maintenant les Russes et les Georgiens qui emploient leurs contingents de « maintien de la paix » pour se faire une guerre ouverte !

Tout entiers préoccupés à la seule lutte « politiquement correcte », la lutte contre les changements climatiques, et nous apprêtant à suivre l’exemple du Président costaricain Oscar Arias, déclarant la « paix à la terre » après avoir déclaré la paix au monde entier, nous voilà brutalement revenus … sur terre. La terre des hommes. La terre où, partout hors d’Europe, les budgets militaires connaissent une forte croissance, très souvent à deux chiffres. La terre où, partout hors d’Europe (et de quelques rares exceptions comme le Japon), la guerre reste, dans les esprits, une manière, certes fâcheuse mais éternelle, de poursuivre la politique par d’autres moyens. Soudain, le métier de soldat n’apparaît plus désuet, il retrouve sa terrible grandeur. Il est même possible que, d’ici quelque temps, les dépenses militaires ne soient plus considérées comme un insupportable gaspillage.

Et c’est aussi d’Europe que vient un autre changement révélateur.

L’Union a maintenant « digéré » son élargissement. Elle a conçu ses nouvelles institutions, qu’elle espère appliquer l’an prochain. Sa monnaie est devenue la plus forte du monde. Elle a prouvé sa capacité visionnaire et sa capacité d’entraînement dans le lancement de la lutte contre l’effet de serre. Elle a fini par tirer les enseignements de ses divisions fratricides dans l’affaire irakienne. Le jeu cynique des Russes dans le maniement des robinets de gaz et le recours aux armes là où ils sont en position de force ont ouvert les yeux même des plus candides. Enfin, clin d’œil de l’Histoire, un heureux hasard a vu l’arrivée à la Présidence d’un leader de la trempe de Nicolas Sarkozy, à un moment particulièrement critique de conjonction de crises internationales, tandis qu’une pénible fin de règne met Washington entre parenthèses. Alors, tout d’un coup, l’Union européenne existe.

Habitués à jouer des divergences d’intérêt et des rivalités d’amour propre entre Européens, les dirigeants russes se heurtent pour la première fois à un front uni. Uni pour soutenir le plan de paix en 6 points en Géorgie. Uni pour suspendre les autres négociations avec Moscou tant que ce plan n’est pas intégralement appliqué. Uni pour consolider politiquement et économiquement l’indépendance de la Géorgie et pour étendre l’influence protectrice de l’Europe à l’Ukraine, prochaine cible annoncée du ressentiment russe. Uni pour engager une politique de diversification de ses sources d’énergie et de ses réseaux d’approvisionnement, alors qu’il y a encore quelques jours, malgré les ambitions affichées, le « chacun pour soi » restait de règle. Moscou croyait engager une épreuve de force diplomatique avec Washington et l’OTAN, c’est l’Union européenne qu’il voit se dresser devant lui.

Bien sûr, cette hirondelle inattendue ne suffit pas à faire le printemps de l’Europe. L’unité aura bien des occasions de se lézarder, la présidence du Conseil européen restera fragilisée tant qu’elle ne bénéficiera pas de la permanence prévue par le traité de Lisbonne et, en l’absence d’un outil militaire cohérent par rapport à ses ambitions diplomatiques, l’Union restera un acteur politique de second rang. Mais, pour la première fois, elle existe. Elle ose s’opposer à son plus puissant voisin. Et, dans quelques mois, les élections européennes donneront à cette existence et à cette politique la pleine légitimité démocratique. Ce ne sont encore que quelques lignes griffonnées sur une page blanche, mais c’est bien un chapitre nouveau qui s’ouvre.

Alain LAMASSOURE, le 4 septembre 2008

Voir plus loin pour agir plus près : la démarche « Pays Basque 2020 »

La prospective n’est plus à la mode. Pourtant, en la matière, la France avait été pionnière, avec le Commissariat général du Plan, créé par Jean Monnet. Mais depuis une vingtaine d’années, l’organe de vigie a perdu lentement son rôle, puis son influence, puis son nom et finalement sa direction. C’est une erreur. La montée des incertitudes, techniques, politiques, économiques, environnementales, doit, au contraire, nous inciter à voir plus loin pour agir plus efficacement. C’est ce que nous avions fait au niveau local avec la démarche « Pays basque 2010 », lancée au début des années 90. C’est ce que nous avons renouvelé avec « Pays basque 2020 ». Non par un travail d’experts en chambre, mais par la mobilisation de plusieurs centaines d’acteurs, économiques, sociaux, culturels, politiques, y compris, pour la première fois, beaucoup de ces jeunes qui seront le Pays basque de demain.

Qu’avons-nous voulu faire ?

Non pas un exercice de planification. L’illusion selon laquelle des hommes politiques seraient capables de se substituer aux agents économiques pour orienter les investissements privés est bien dissipée. La période couverte par « Pays basque 2010 » a été marquée par des novations imprévisibles : le développement foudroyant d’Internet et des nouvelles technologies de communication ; les retombées économiques inimaginables de la mode vestimentaire née des sports de glisse, le « surfwear » ; le dynamisme de nos voisins d’Euskadi, symbolisé par le musée Guggenheim de Bilbao et la spectaculaire reconversion industrielle ; plus récemment, la nouvelle révolution industrielle à laquelle nous conduit la lutte contre l’effet de serre, et le bouleversement de l’économie agricole avec l’apparition des OGM, le développement des biocarburants et l’explosion de la demande des pays émergents.

Aussi, loin de prétendre programmer l’imprévisible, dans un monde en changement rapide, nous voulons rester maîtres de notre destin.

Nous nous appuyons sur les résultats de l’étape précédente : exécutée à plus de 90%, la Convention spécifique (2000-2006), a permis d’accompagner beaucoup de projets innovants, et surtout de faire reconnaître l’identité et la spécificité du Pays basque : les résultats les plus marquants ont concerné la langue, la culture, d’une part, et les technologies nouvelles et la formation supérieure, d’autre part. Le contrat sur les langues régionales passé par l’Etat avec le département, la création de l’Office de la langue basque, le développement rapide de l’enseignement de l’euskara, les succès remarquables du parc technologique d’Izarbel et de l’ESTIA, l’aménagement des réseaux à haut débit, la création de l’Institut supérieur aquitain du BTP et du pôle scientifique et technologique de Montaury ont marqué cette période.

Sur ce socle, nous pouvons maintenant préparer le Pays basque à son avenir.

Priorité est donnée à l’emploi, grâce au développement durable. Même si nos résultats sont plutôt meilleurs que la moyenne nationale et régionale, nous n’acceptons pas qu’une proportion élevée de nos jeunes restent sans emploi et sans logement. Notre choix politique est de faire du Pays basque une région riche d’abord d’une économie de production – dans l’agriculture, l’industrie, l’artisanat – l’économie « résidentielle » ne devant avoir qu’un rôle second.
D’autres sauront toujours produire plus. Nous voulons produire mieux.

L’économie du XXIe siècle est fondée sur la connaissance. Sur l’éducation, la formation, la recherche. Sur l’audace, l’inventivité, le talent. La haute technologie est une image, mais elle n’est qu’une voie parmi d’autres : dans un monde hyper-concurrentiel, tout repose sur la qualité. Sécurité et qualité du produit, comme du mode de fabrication, traçabilité, aptitude au recyclage, économie de ressources rares ou de produits polluants, qualité des services, de l’accueil, de l’écoute, de l’hospitalité, recherche de la perfection, quelle que soit l’activité choisie, qualité des relations sociales et humaines, placées au sommet de la hiérarchie des valeurs. Y-a-t-il une philosophie plus conforme à la tradition la plus ancienne du Pays basque et, en même temps, un meilleur gage d’efficacité pour notre temps ?

C’est pourquoi nous avons mis l’accent sur les pôles de compétitivité, les grandes liaisons de transport, la protection de l’environnement, les économies d’énergie et le développement des relations avec la puissante locomotive du sud de la Bidassoa. C’est pourquoi le projet concerne toutes les entreprises, à commencer par les petites et moyennes. C’est pourquoi, pour la première fois, nous avons introduit la politique de santé et les relations du travail, qui sont au cœur d’une politique de qualité d’un territoire.

S’il n’appartient pas au pouvoir politique de se substituer à l’individu ou à la société, c’est lui qui est responsable de la traduction du développement dans l’espace de vie. Or, les évolutions spontanées sont ambiguës. D’un côté, le développement de la «zone intermédiaire » entre la côte et l’intérieur du pays, l’apparition du télé-travail, l’amélioration des transports et des liaisons de télécommunication redonnent des atouts nouveaux à des cantons qui étaient en voie de paupérisation. De l’autre, l’insuffisance des terrains à bâtir, l’attractivité croissante de trop beaux paysages, les embolies circulatoires causées chaque jour par les déplacements individuels, mais aussi, hélas, le peu d’empressement des habitants installés à faire de la place à de nouveaux venus, fût-ce à la génération montante, ou à des activités de production jugées trop facilement « polluantes » rendent plus aigus les «conflits d’usage ».

Nous refusons de choisir entre des inconvénients. De manière plus ambitieuse, nous voulons combiner les avantages. Nous devons à nos compatriotes l’emploi ET la qualité de la vie, la production ET la protection de la nature, le TGV ET le paysage, la récompense des initiatives entrepreneuriales ET la sécurité des salariés, le renforcement de l’identité basque ET l’ouverture culturelle sur un monde passionnant et prodigieux. Utopie ? Allons donc ! Pourquoi ce que beaucoup de maires tentent et réussissent dans leur commune serait impossible à l’échelle de notre petite région ? A partir du moment où nous savons travailler ensemble, comme nous l’avons appris, en particulier au sein des institutions originales que sont le Conseil des élus et le Conseil de développement.

En 2020, le Pays basque doit être une terre d’excellence.

Alain Lamassoure, le 4 janvier 2008.