INTERVIEW – Alain Lamassoure est l’inspirateur de l’article 50 du traité de Lisbonne, qui sera invoqué par le Royaume-Uni pour quitter l’Union européenne. Il revient dans le JDD sur la création de cette clause de retrait qui sera utilisée pour la première fois, plus de dix ans après sa création. 

Quel était l’esprit de cet article 50 du traité de Lisbonne, encore jamais utilisé, lorsqu’il a été rédigé?

C’était en 2003 : je faisais partie de la convention européenne chargée d’élaborer un nouveau traité pour faire fonctionner la grande Europe. Elle réunissait des représentants de tous les gouvernements et parlement nationaux des 28 pays, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing.J’avais été frappé par un argument des souverainistes – qui étaient beaucoup moins nombreux à l’époque, moins de dix sur 200 – qui consistait à dire que contrairement aux autres organisations internationale, on ne pouvait pas sortir de l’UE une fois entré. Or, nous ne voulions pas donner une image de prison des peuples. J’ai donc proposé une clause de divorce, avec le soutien du président qui a convaincu les fédéralistes. Dans un premier temps, ces derniers avaient pourtant trouvé ça scandaleux. L’état d’esprit, c’était plus « on fait les Etats-Unis d’Europe » et donc plus on est intégrés mieux ça vaut.

Vous attendiez-vous en le rédigeant à ce qu’il soit réellement employé un jour?
Oui, mais ce n’est pas au Royaume-Uni que nous pensions principalement. A l’époque le pays était dirigé par Blair, qui avait un langage très pro-européen et avait signé le traité constitutionnel! Valéry Giscard d’Estaing avait cette vision un peu optimiste que le texte qu’on élaborait régirait l’Union pour 50 ans. Les Français avaient joué un rôle très important dans le contenu du traité en prévoyant que l’Union pourrait mettre en oeuvre une politique étrangère de sécurité et de défense commune. «Avec cet article 50, l’idée était de rassurer les pays »Or certains pays à l’intérieur de l’Union sont attachés à la neutralité pour des raisons historiques : l’Irlande, la Finlande, la Suède, l’Autriche… Je me suis dit que le jour où on franchirait ce pas d’une Europe de la défense, ces pays se sentiraient mal à l’aise. Avec cet article 50, l’idée était de rassurer les pays et de faire en sorte que chacun se sente à l’aise dans cette maison commune en sachant qu’il peut en partir. C’était dans un but dissuasif, et cette dimension a échoué.

Comment va s’appliquer concrètement cet article, qui reste vague dans sa rédaction?

Nous avons rédigé l’article 50 en donnant une très grande liberté à l’Etat qui ne se sentirait plus à l’aise : la décision est unilatérale, et n’importe quel Etat peut la prendre à n’importe quel moment sans même la justifier, simplement en respectant les procédures constitutionnelles qui lui sont propres. Quand le Royaume-Uni aura déclenché l’article 50 en notifiant l’UE, on se mettra d’accord sur les clauses de l’application du divorce (le partage du patrimoine et la garde des enfants, pour garder la comparaison). C’est le traité qui entérinera cette nouvelle relation contractuelle. Difficile d’être plus précis sur la procédure ou son calendrier : nous sommes tenus par les procédures propres au pays. Cela dit, il est évident qu’un référendum comme celui-là est une bombe atomique et que du côté européen, nous allons insister pour que cela aille le plus vite possible. Pour rester sur la comparaison avec un divorce, plus rapidement on l’expédie, moins c’est douloureux. Et vu la réaction des marchés financiers qui sont en folie et le resteront tant qu’on sera dans l’incertitude… Ce résultat va aussi introduire des incertitudes politiques majeures au Royaume-Uni. Que vont faire les Écossais? Et l’Irlande du Nord? Que va-t-il se passer au sein du parti conservateur? Cameron a annoncé qu’il allait démissionner en octobre, est-ce politiquement réaliste après le camouflet politique qu’il vient de recevoir? De notre côté, nous avons reçu une gifle de la part du peuple britannique : nous avons besoin, le plus rapidement possible, d’un interlocuteur avec qui on puisse mettre au point les sujets à introduire dans la procédure de divorce et se mettre d’accord sur le calendrier. Je crois qu’il y aura une unanimité au sein de l’UE à ce sujet.

L’Union européenne doit-elle faire la demande au Royaume-Uni de déclencher l’article 50 du traité de Lisbonne?

Politiquement, cela peut se concevoir. Juridiquement, on n’en a pas besoin, mais à mon avis, c’est ce qui se passe déjà au téléphone en ce moment. C’est ce qui sera dit vraisemblablement à Cameron lors du Conseil européen de la semaine prochaine.

Ensuite, le délai pour trouve un accord de négociation est de deux ans. Pour beaucoup, c’est un délai intenable…

C’est un délai beaucoup trop long! Il n’est pas très difficile de couper les liens entre l’UE et le Royaume-Uni. Côté britannique par contre, ils vont avoir des milliers de problèmes juridiques à résoudre. Je crois qu’on estime à 80.000 le nombre de lois ou règlements qui s’appliquent aujourd’hui au Royaume-Uni qui ont été décidés à Bruxelles. «Les Britanniques vont avoir des milliers de problèmes juridiques à résoudre» Cela sera à eux de faire le tri là-dedans, et on n’a pas besoin qu’ils aient fait ce tri pour divorcer avec eux.

Mais eux ont peut-être besoin de faire le tri avant de conclure un accord?

Non. Ils ont décidé de divorcer? Très bien, alors on signe, et vous partez. On a besoin que ça aille vite des deux côtés. Les Anglais car tant que certaines incertitudes ne sont pas levées, les conséquences financières sont lourdes, et l’incertitude politique règne. De notre côté, dans l’UE, notre grand drame est qu’on ne peut traiter que d’un grand sujet à la fois. Les grands problèmes comme la lutte contre le terrorisme, l’immigration, la mise en place d’une politique de défense… tout ça sera écarté le temps des négociations. Ce n’est pas possible! L’idéal serait de ne pas prendre les deux ans. Moi – je le dis de manière un peu provocante – je pense que cela pourrait être réglé dans les six mois. Mais à mon avis, en un an, c’est tout à fait faisable.

Il faudra ensuite passer aux secondes négociations, celles des relations futures entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne…

Une fois le divorce signé, nous ne serons pas pressés d’établir le cadre juridique de nos futures relations avec le Royaume-Uni. Mais eux seront hyper-pressés! «Il nous faut un calendrier et une date butoir. L’Europe a toujours fonctionné comme ça» Un exemple, le grand marché européen : le jour où le contrat de divorce est signé, ils n’y sont plus, et leur est coupé l’accès facile à un marché de 450 millions d’habitants. Nous absorbons près de la moitié des exportations britanniques. Il y a beaucoup de problèmes à traiter, mais si on part déjà en se disant « Ouh là, c’est tellement compliqué qu’on va y passer des années », c’est perdu. Il nous faut un calendrier et une date butoir. L’Europe a toujours fonctionné comme ça.