« Sauver Schengen en aidant la Grèce »: article publié sur le blog « Les Coulisses de Bruxelles », le 3 février 2015

« Si je n’ai jamais voulu envisager un Grexit de la zone euro, ce n’est pas pour envisager un Grexit de Schengen » a martelé, ce matin, devant le Parlement européen réuni à Strasbourg, Jean-Claude Juncker. Pour le président de la Commission, il s’agit « d’aider la Grèce » à reprendre le contrôle de ses frontières extérieures qui sont aussi celles de l’Union, frontières par lesquelles est passée la quasi-totalité du million d’immigrants et de réfugiés qui sont entrés en Europe en 2015. Déjà sous tutelle budgétaire, Athènes n’a d’autre choix que d’accepter la tutelle sécuritaire de ses partenaires, l’enjeu étant de préserver l’espace de libre circulation menacé par le rétablissement désordonné des contrôles fixes aux frontières intérieures destiné à endiguer la vague d’immigration actuelle. « Nous sauverons Schengen en appliquant Schengen », a insisté Juncker.

Suspendre la Grèce

Ce sont les ministres de l’Intérieur des États membres qui ont signifié à la Grèce, le 25 janvier, qu’elle devait reprendre le contrôle de ses frontières avec, à la clef, la menace de rétablir durant deux ans les contrôles aux frontières intérieures avec la Grèce. Ce qui équivaut à une suspension de fait de l’espace Schengen. De fait, Athènes n’a pas fait grand-chose depuis un an pour stopper et contrôler l’afflux d’étrangers débarquant dans ses îles (entre 1200 et 6000 selon le critère retenu, dont environ 200 habités), refusant les offres d’assistance européenne au nom d’un souverainisme sourcilleux. Elle a poussé la courtoisie jusqu’à acheminer gracieusement vers la Macédoine grecque les migrants et les réfugiés afin qu’ils poursuivent leur route vers l’Allemagne et la Suède. Enfin, Athènes a trainé des pieds pour mettre en place des « hotspots » qui auraient permis de faire un premier tri entre ceux qui ont une chance d’obtenir l’asile et les autres quand elle a compris qu’il s’agissait de construire des camps de réfugiés avec le risque de se retrouver avec des centaines de milliers de personnes fixées sur place, comme en Turquie ou au Liban. Ce n’est pas un hasard si elle n’a toujours pas fourni les 20.000 places d’accueil promises en octobre dernier. Bref, tout a été fait pour repasser le bébé aux pays voisins.

Un laisser-faire qui s’est refermé comme un piège sur la Grèce lorsque les Hongrois ont fermé leur frontière puis, par effet domino, l’ensemble des pays balkaniques. Désormais, les étrangers sont coincés sur son territoire. Un changement radical de situation, qui, ajouté aux menaces d’une suspension de Schengen, l’ont enfin amené à faire appel à Frontex, l’agence européenne chargée d’aider les pays à contrôler leurs frontières extérieures, et, comme le lui demandait la Commission, à mobiliser son armée, la seule institution du pays capable de construire des camps de réfugiés. Malgré cette mobilisation, on est encore loin du compte. « Les policiers français qui ont remplacé leurs collègues grecs à Leros ne sont pas plus efficaces », se désole Alain Lamassoure, député européen (LR) : « ils ne peuvent pas enregistrer les empreintes des demandeurs d’asile dans le fichier Eurodac, car il n’y a pas d’accès internet. Donc ils passent sans être enregistrer »

«Imaginez un million de réfugiés débarquant en Corse»

Reste que le chapeau que l’on veut faire porter à la Grèce est un peu grand pour elle : « les Grecs sont débordés et on les comprend », s’exclame Alain Lamassoure. « Imaginez qu’un million de personnes débarquent en Corse ! » Aucun pays n’aurait pu stopper un tel afflux. « Si des efforts supplémentaires de la part de la Grèce sont clairement indispensables, leur portée restera limitée tant que les autres États membres n’appliqueront pas les décisions qui ont été prises, notamment en ce qui concerne le renfort en personnel pour le bon fonctionnement des hotspots, et l’accélération de la relocalisation », a reconnu Juncker. Ainsi, alors que les pays de l’Union auraient dû soulager la Grèce, l’Italie et la Hongrie de 160.000 demandeurs d’asile en deux ans, pour l’instant, seuls 400 réfugiés ont pu être relocalisés… De même, seule la Grande-Bretagne a versé sa quote-part des 3 milliards d’euros promis à la Turquie pour l’aider à fixer les réfugiés sur son sol.

Surtout, tout le monde semble avoir oublié que la Grèce est en faillite et dépend pour sa survie de ses partenaires de la zone euro: or, dans le troisième plan d’aide financière conclu en août dernier, rien ne concerne la gestion des frontières extérieures alors que la crise avait déjà commencé. Un aveuglement proprement incroyable des Européens qui semblaient penser que le contrôle aux frontières est la seule politique grecque efficace… Or, depuis 1995, date d’entrée en vigueur de la convention Schengen, on sait que ce pays est totalement incapable de contrôler ses milliers d’îles. Une solution aurait été d’en exclure la plupart de l’espace Schengen (comme pour les DOM-TOM français, par exemple), mais Athènes s’y est opposée par peur que sa souveraineté apparaisse diminuée…

Reconduire des centaines de milliers de déboutés du droit d’asile

Les défis qui attendent les Européens vont bien au-delà du cas grec qui n’est que le révélateur de l’insuffisante intégration européenne. Il faudra que, très rapidement, comme le propose la Commission, un corps de garde-frontières européens soit créé pour intégrer le contrôle des frontières. « Le budget de Frontex est passé de 80 à 140 millions d’euros », rappelle Alain Lamassoure: « Malgré cela, on est loin, très loin des 32 milliards de dollars que les États-Unis consacrent au contrôle des frontières. On y viendra: rien que le coût direct des réfugiés a représenté 30 milliards en 2015. Si on mutualise nos moyens, ce budget sera vite atteint ». Enfin, comme l’a expliqué mardi soir au groupe PPE (conservateurs) Jean-Claude Juncker, il va falloir se préparer à reconduire à la frontière les centaines de milliers d’étrangers déboutés du droit d’asile, ce qui, au-delà des questions juridiques, diplomatiques et pratiques que soulèvent ces renvoies de masse, risque de rappeler de bien mauvais souvenirs…