« Les outils existants pour lutter contre le terrorisme sont notoirement sous-utilisés » paru aujourd’hui dans « Les Echos »:

Vous avez dressé un bilan sévère de l’action européenne face au terrorisme. Qu’est-ce qui a failli exactement ?

Le premier plan européen de lutte contre le terrorisme remonte à 2001 et il a été renforcé après la tragédie de la gare d’Atocha à Madrid en 2004. On avait créé à l’époque un poste de coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme, occupé aujourd’hui par Gilles de Kerchove. Cet homme n’a ni personnel ni budget. Il n’a pas non plus de moyens d’information. Les outils existants, eux, sont notoirement sous-utilisés par la plupart des services de police et de sécurité des Etats membres. Le fichier informatisé d’Europol n’est alimenté que par cinq Etats membres et on a appris que, sur les 5.000 djihadistes européens qui ont rejoint la Syrie, seulement 2.000 y figurent. Le système d’information Schengen de deuxième génération, SIS II, qu’on a mis sept ans à finaliser et qui fournit une multitude d’informations sur les personnes condamnées ou suspectées est sous-alimenté et donc sous-exploité. Quant à Eurojust, qui est censé renforcer la coopération judiciaire, il n’a été saisi par les autorités nationales que dans une quinzaine de cas d’actes terroristes. Tout cela relève de la carence des Etats membres, mais il y a aussi celle du Parlement, dans le cas du fichier sur les passagers (PNR), où une majorité bloque la décision. N’attendons pas le prochain attentat pour voter ce texte qui doit permettre de croiser les données sur les passagers avec le fichier Schengen (sis II) et les empreintes digitales fournies par Eurodac.

Compte tenu de ces lacunes, est-ce qu’il faut revoir les règles de la libre circulation dans l’Union européenne ?

Il faut surtout renforcer les contrôles biométriques aux frontières extérieures de l’espace Schengen. Nous devons aussi créer un véritable centre européen du renseignement qui réunirait tous les services des Etats membres sous la houlette du coordinateur européen, et obtenir des Etats qu’ils échangent vraiment les informations.

Que pensez-vous de la déclaration de Manuel Valls qui a demandé à l’Union européenne de stopper l’accueil des réfugiés au prétexte que des terroristes les ont infiltrés ?

C’est une déclaration fâcheuse. Elle accrédite la thèse que Marine Le Pen n’a même pas reprise ce mercredi lors du débat au Parlement européen, selon laquelle il faut arrêter le flux des migrants pour combattre le terrorisme. Le problème numéro un aux frontières extérieures aujourd’hui, c’est que la répartition des migrants n’a pas été réglée. La décision prise à la majorité qualifiée il y a deux mois par les Etats membres de l’Union pour répartir 160.000 demandeurs d’asile n’est toujours pas appliquée, ni par ceux qui l’ont combattue, ni par ceux qui l’ont acceptée. C’est terrible parce qu’il est clair que la solution au terrorisme comme à l’immigration ne peut être qu’européenne. Chacun a conscience que c’est bien à ce niveau qu’il faut agir, mais en même temps l’Union européenne n’est pas apte dans son mode de décision actuel à prévenir et à gérer des crises graves. Il se pose aujourd’hui la question de la mise en oeuvre des décisions prises à 28. L’Europe a des compétences en matière de coordination de police et de justice, mais elle n’a pas les moyens d’obliger les Etats à les mettre en oeuvre.

Catherine Chatignoux