« SNCF et RENFE font le pari d’un marché ferroviaire de voisinage entre la France et l’Espagne », article publié dans Transport Public, 01/01/2014

« Les frontières ferroviaires n’existent désormais plus entre Barcelone (et même Madrid) et la France. Depuis le 15 décembre, le service de TGV directs exploités conjointement par la SNCF et la RENFE constitue une avancée historique. Reste à savoir si, au-delà de la desserte Paris-Barcelone, le rail va trouver sa clientèle. D’autant qu’iDBUS, filiale de la SNCF, contribue à tirer les tarifs vers le bas sur le marché entre le sud de la France et la Catalogne.
Y a-t-il un solide marché pour des liaisons ferroviaires de passagers entre le sud de la France et la Catalogne ? C’est l’interrogation à laquelle les mois qui viennent apporteront une réponse. Certitude pour l’instant, le démarrage est assez lent. Du moins si on en croit les comptages effectués par des observateurs postés à Toulouse à l’arrivée de l’AVE en provenance directe de Barcelone : quelques petites dizaines de passagers tout au plus en sortaient durant la période des fêtes. Mais il faut évidemment laisser le temps à ce récent service de liaisons interrégionales franco-espagnol pour s’installer, d’autant que la crise qui réduit le pouvoir d’achat de chaque côté des Pyrénées est un handicap.

Liaisons transfrontalières interrégionales
La mise en place depuis le 15 décembre d’une liaison TGV quotidienne entre Barcelone et Paris ne saurait occulter en effet cette grande nouveauté introduite en même temps. Barcelone (et même Madrid pour les trains la reliant Marseille) ainsi que deux autres villes catalanes (Girone et Figueras) et plusieurs métropoles du sud de la France comme Perpignan, Marseille, Toulouse, Montpellier, Nîmes et même Lyon sont désormais chaque jour reliées entre elles par des liaisons directes. «Toutes ces villes françaises sont maintenant à un billet de train de Barcelone et Madrid», souligne le ministre des Transports, Frédéric Cuvillier.
L’ensemble de ce service est exploité par «SNCF-RENFE en Coopération». Faute d’avoir trouvé une marque commerciale, c’est sous cette appellation peu sexy que les deux compagnies sont alliées. Ainsi la SNCF fournit le matériel ¬ dix TGV EuroDuplex Dasye (510 places) ¬ nécessaires aux deux allers et retours quotidiens Paris-Barcelone. La RENFE apporte dix AVE 100 S (347 places), des rames de type TGV Atlantique qui ont fait l’objet d’une modernisation pour circuler en France. Malheureusement pour la RENFE, ses trains n’ont pas été autorisés à emprunter la ligne à grande vitesse Lyon Paris pour des raisons techniques. Aussi ses AVE circulent essentiellement sur ligne classique en France : ce sont eux qui assurent l’aller-retour quotidien entre Madrid-Barcelone, celui entre Barcelone et Toulouse et celui entre Barcelone et Lyon où ils empruntent une section LGV entre Nîmes et Lyon.

Un million de passagers par an
Au total, Guillaume Pepy, le président de la SNCF, dit attendre «un million de passagers» par an. «Au-delà du million», renchérit même son homologue de la RENFE, Julio Gomez-Pomar Rodrigruez. Un objectif optimiste qui correspondrait à un taux optimal de remplissage des ra- mes sachant que le service actuel propose une «capacité de 4000 places par jour», calcule Madrid, soit 1, 46 million de sièges par an. L’objectif du million correspondrait à plus du doublement du trafic actuel si on se fie aux chiffres communiqués sous le manteau par la SNCF. «Entre janvier et novembre 2014, les trains de nuit Talgo, qui ont été supprimés avec l’apparition de la nouvelle offre, ont acheminé 152 000 voyageurs. S’ajoute le trafic de jour assuré en 2013 par les deux TGV Paris-Figueras qui a représenté environ 300 000 voyageurs transportés», indique un représentant de l’entreprise. Un des principaux enjeux réside dans la capacité à installer un marché sur les relations frontalières.
Pour assurer la liaison Paris-Barcelone, la RENFE apporte de son côté dix AVE 100 S (347 places), des rames de type TGV Atlantique qui ont fait l’objet d’une modernisation pour circuler en France.
Guillaume Pepy, le président de la SNCF, dit attendre «un million de passagers» par an sur cette nouvelle liaison franco-espagnole

Casse-tête tarifaire
Dans cette stratégie, la politique tarifaire constitue un élément essentiel pour contrer les compagnies aériennes low-cost et l’offre routière. De ce point de vue, la SNCF mène une politique acrobatique. Sur Lyon-Barcelone, sa filiale iDBUS se place certes en concurrence directe face à son rival Eurolines mais aussi face au train : les places de bus sont vendues à 35, 45 ou 55 euros pour un trajet de nuit quand le premier prix par train sur le même trajet est fixé à 49 euros. L’attractivité tarifaire de l’offre «SNCF-RENFE en Coopération» est d’autant plus importante que les temps de trajet sont peu compétitifs : 6h25 pour relier Paris à la capitale catalane, liaison dont le prix maximal est de 170 euros et le prix d’appel de 59 euros ; 7h03 pour Marseille-Madrid ; 5h26 pour MontpellierMadrid ; 4h53 pour Barcelone-Lyon ; 4h03 pour Aix-en-Provence-Barcelone ; 3h02 pour Toulouse-Barcelone, etc. Par ailleurs lorsque le temps de parcours est attractif, certains horaires s’avèrent peu incitatifs : pas pratique d’aller passer la journée à Barcelone le week-end depuis Perpignan, deux villes catalanes désormais distantes de seulement 1h19 par rail. Le premier train n’arrive en effet à Barcelone qu’à 11h24. Reste que cela pourrait s’améliorer. Les deux compagnies prévoient justement d’ajuster leur offre au mois de mars. En fonction des premières observations de trafic, certaines liaisons pourraient être étoffées.

Evénement historique
Quoi qu’il en soit, c’est bien «un événement historique», selon les mots des gouvernements français et espagnol et des présidents des deux compagnies ferroviaire, qui autorise cette offre : l’interconnexion des deux plus grands réseaux ferroviaires à grande vitesse d’Europe qui permet de s’affranchir de la différence d’écartement des rails entre les deux pays, laquelle obligeait à un changement d’essieux. Attendue depuis une vingtaine d’années jalonnées de difficultés et de tensions, cette interconnexion s’est concrétisée par l’entrée en exploitation du dernier chaînon, la ligne à grande vitesse Barcelone-Figueras à écartement UIC (1435 mm). Evidemment, aujourd’hui, élus locaux et gouvernements français et espagnol attendent la prochaine étape pour réduire de quelques dizaines de minutes les temps de parcours avec la construction du tronçon : ce sera d’abord la mise en service du contournement de Nîmes et de Montpellier dès 2017. Puis à un horizon plus lointain, la section PerpignanMontpellier dont Frédéric Cuvillier a annoncé la relance des études de tracé. »

http://www.revue-transport-public.com/component/content/article/1217/3075?sectionid=87