Sur le chemin de Damas, trois conversions renversantes

A défaut d’une rencontre avec le Saint-Esprit, le chemin de Damas pourrait-il aider les membres de la communauté internationale à retrouver des esprits sains ?

Le vote historique de la Chambre des Communes le 30 août fait tomber, non pas un, mais trois cavaliers de leurs montures respectives.

Il met fin à l’hégémonie du pouvoir exécutif en matière de politique étrangère. La dernière fois que les Communes avaient désavoué le Premier ministre sur la politique étrangère remontait à la guerre d’Indépendance des Etats-Unis contre l’Angleterre ! Le vote de Westminster est si fort qu’il oblige politiquement le président Obama à saisir le Congrès, alors même qu’il venait d’annoncer sa décision solitaire d’ouvrir le feu dans les prochaines heures. Du coup, en France, François Hollande ne pourra pas davantage passer outre au sentiment majoritaire qui s’exprimera, avec ou sans vote,  à l’Assemblée nationale convoquée pour le 4 septembre. Cette réhabilitation du rôle parlementaire est à saluer comme un vrai progrès démocratique. Les générations précédentes ont vécu dans un temps où la paix n’était qu’un nouvel entre-deux-guerres. Nous sommes entrés à un âge où la paix, bien que toujours précaire, devient l’état normal des relations internationales. La guerre reste, hélas, un mal endémique pour encore longtemps, mais, en l’absence d’une agression directe, les puissances démocratiques doivent réserver le recours à la force à des situations exceptionnelles, où il est l’ultima ratio. La guerre était déjà considérée comme une affaire trop importante pour être confiée aux seuls militaires. Elle est désormais trop grave pour être décidée par les seuls chefs d’Etat : il y faut l’accord des représentants du peuple. A travers le Parlement : il ne s’agit pas de sondages, ni de manifs, ni de tweets ou autres cui-cui de la blogosphère, mais d’un vote d’élus qui auront des comptes à rendre auprès des citoyens. Bravo !

De manière moins évidente, mais aussi renversante, ce vote à Londres ouvre paradoxalement la voie à l’esquisse du début du commencement de quelque chose qui pourrait commencer à ressembler aux prémices d’une politique étrangère européenne commune. Pourquoi ? Tant que Londres se faisait devoir et gloire de s’aligner systématiquement sur Washington, il n’y avait de position commune européenne possible que derrière le leadership américain. La valeur ajoutée européenne était nulle. Maintenant que l’Angleterre se redonne un droit de libre examen, le jeu s’ouvre complètement. Elle va découvrir que, sur un grand sujet de politique étrangère – la Syrie aujourd’hui, mais aussi et toujours l’Iran, le conflit israélo-palestinien, les suites du printemps arabe, les relations avec la Russie, etc. – si elle reste isolée, elle sera impuissante. Seul le soutien de ses grands partenaires européens lui permettra de peser. De son côté, si la France, qui tirait fierté de son indépendance diplomatique envers les Etats-Unis, se retrouvait tout à coup le seul pays européen à soutenir Washington, elle mesurerait très vite l’impasse politique d’une telle situation : c’est la valeur ajoutée française qui aurait disparu. Volens, nolens, chacun va être conduit à admettre que, dans le monde d’aujourd’hui, la masse critique diplomatique dépasse la taille de la seule Angleterre, de la seule Allemagne, de la France seule. Tout le monde le savait, sauf les chefs d’Etat et leurs conseillers. Nul ne peut plus l’ignorer. 

Enfin, le renversement – ou, au moins, le rééquilibrage – porte aussi sur le rapport d’influence entre les deux rives de l’Atlantique. En 1991 au Koweït, en 2001 en Afghanistan, toute l’Europe suivait les Etats-Unis. En 2003 en Irak ne suivait plus que la moitié de l’Europe. Aujourd’hui, chaque pays européen se réserve le droit de ne pas suivre. Les Américains payent le mépris dans lequel les administrations Bush Jr et Obama ont tenu leurs plus proches alliés, à commencer le Royaume-Uni, dans la conduite diplomatique et militaire des opérations communes. L’Alliance atlantique rassemblait 26 pays qui prenaient les décisions communes à l’unanimité … d’un seul d’entre eux. Tout d’un coup, ses membres redécouvrent le sens du mot vote. Rien n’y sera plus comme avant. 

Nul ne sait aujourd’hui qui prendra quelle décision et à quel moment à propos de la Syrie. Mais nous assistons à ce que les historiens définissent comme un « événement » : il y aura désormais un « avant » et un « après » de ce moment-clef.

Naturellement, tout dépendra des conséquences qu’en tireront les uns et les autres. C’est en 1956 que s’est joué le vrai lancement de la construction européenne telle qu’elle s’est bâtie depuis : de l’échec de leur expédition commune sur Suez, Anglais et Français ont tiré des conclusions diamétralement opposées. A Londres, le sentiment était que plus rien ne devrait être fait sans le soutien américain, qui avait fait défaut contre Nasser. A Paris, où le président du Conseil Guy Mollet recevait, au même moment, le Chancelier Adenauer, il était clair désormais que, sans l’union de l’Europe, les puissances moyennes n’auraient plus voix au chapitre face aux deux super-grands. Quelques mois plus tard était signé le traité de Rome. A six. Sans l’Angleterre. C’est un autre chapitre qui s’ouvre en cette fin d’été 2013.

                                                                                      Alain LAMASSOURE, le 1er septembre 2013

Article publié sur lexpress.fr : http://www.lexpress.fr/actualite/syrie-sur-le-chemin-de-damas-trois-conversions-renversantes_1278244.html