A naïf, naïf et demi!

Sur l’Europe, il y a au moins un point sur lequel s’accordent tous les partis politiques français : elle est bien naïve ! Dans les négociations internationales, elle est prête à ouvrir son grand marché – le premier du monde – à tous les vents, à toutes les concurrences déloyales, par une foi aveugle dans la vertu des échanges. Et voilà l’origine de la désindustrialisation, du chômage et de l’austérité qui frappent le Vieux Continent !

Si ça nous soulage en le disant, pourquoi pas ? Après tout, c’est la morale des Tontons Flingueurs. Mais au moins les joyeux personnages de Michel Audiard n’étaient pas dupes de leur propre mauvaise foi.

Car, mois après mois, cette Europe ouverte, offerte, incurablement naïve, ne cesse d’accumuler les excédents commerciaux sur le reste du monde. Depuis deux ans, la France connaît les déficits les plus graves de toute son histoire, en achetant à l’extérieur plus de 70 milliards d’euros de plus que ce qu’elle vend. Mais depuis deux ans, l’excédent commercial allemand dépasse celui de la Chine ! Et il n’y a pas que l’Allemagne : pays quatre fois moins peuplé que nous, les Pays-Bas exportent plus que nous, et leur excédent dépasse les 60 milliards. Et il n’y a pas que l’Europe du nord : l’Italie a retrouvé l’équilibre commercial ; quant à l’Espagne, qui était notre premier débouché extérieur, elle nous vend désormais 2 milliards de plus qu’elle ne nous achète – au prix d’efforts considérables : ceux que nous nous refusons.

Au total, la zone euro enregistre un excédent annuel de près de 150 milliards. Pourquoi craindrait-elle de négocier avec les pays émergents ? Au contraire : c’est là-bas que se trouvent de formidables gisements de croissance. Nos marchés sont saturés. D’ici 2020, 1 milliard de consommateurs asiatiques, latino-américains et africains vont atteindre le niveau de vie de nos classes moyennes. Ils sont affamés de consommation de produits et de services, de logements, d’électricité, d’eau potable, de moyens de transport, de santé, de luxe, de mode, d’équipements publics – tout ce que nous savons faire. Allons-y !

Au début des années 90, l’ogre qui menaçait l’Europe naïve était le Japon. A l’époque, malgré les imprécations des défenseurs de « l’exception française », la France et l’Europe ont accepté le défi de la concurrence japonaise dans le secteur-clef de l’automobile. Moins de dix ans plus tard, Renault s’emparait de Nissan, et aujourd’hui le Président de la République va à Tokyo se réjouir de la normalisation des relations économiques franco-japonaises.

En juin 2013, toute la France a salué le courage de la Commission européenne lorsqu’elle a décidé d’appliquer des droits anti-dumping aux panneaux solaires chinois. Une semaine plus tard, toute la France a tremblé lorsque la Chine a décidé de faire de même sur les vins européens. Chacun a compris alors que le commerce est un jeu où les deux côtés doivent être gagnants.

Encore faut-il que l’on ait quelque chose à vendre. L’orgueilleuse Angleterre a eu beau dévaluer massivement sa monnaie, son déficit commercial reste abyssal : elle a laissé dépérir son industrie au profit des services, et notamment des activités financières de la City. Le mal français est identique : en dix ans, au sein même de la zone euro, le poids de notre industrie a diminué d’un tiers. Nous ne fabriquons pas, ou bien trop peu, les produits que s’arrache le reste du monde.

En pleine controverse sur le dumping chinois, j’ai rendu visite à une PME du Lot-et-Garonne spécialiste des énergies renouvelables. Le jeune fondateur de l’entreprise est un cuisinier autodidacte. Les droits anti-dumping ? Il s’en passe : ayant compris que, sur les seuls panneaux solaires, les Chinois seraient toujours moins chers, il vend à ses clients un service complet de fourniture d’énergie. Il a conçu aussi un modèle de réverbère à batterie solaire qu’il vend comme des petits pains aux mégapoles du Nigeria, du Kenya et de l’Inde. Il travaille maintenant avec les géologues de Lacq à la prospection de l’énergie thermique des grandes profondeurs. Il a créé ainsi 500 emplois industriels dans un de nos terroirs les plus traditionnellement agricoles. Ce jour-là, j’ai vu la France qui gagne. Elle sait que la faiblesse n’est pas dans la prétendue naïveté de ses partenaires mais dans le manque d’imagination et de courage de trop de ses propres joueurs. Nous serons sauvés le jour où nous saurons tous le comprendre.

                                                                                                                  Alain LAMASSOURE, le 1 er juillet 2013