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Quand trop d’élections affaiblissent la démocratie

« Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » avertissait Montesquieu. On peut en dire autant des élections.

Le combat courageux, et parfois héroïque, de la jeunesse arabe nous le rappelle : l’élection est le moment sacré où s’exerce la souveraineté du peuple. Nos vieilles démocraties ont mis des décennies à en imposer le principe chez elles, et à en perfectionner dans le détail les modalités pratiques essentielles à la sincérité du scrutin : liberté des candidatures, secret du vote, émargement des listes électorales, réglementation des procurations, organisation du dépouillement, etc.

La machine est si bien huilée que nous nous étonnons du désintérêt qu’un nombre croissant d’électeurs portent pour ces grands’ messes. Mais précisément, c’est la banalisation de l’événement qui lui ôte son caractère solennel. Et, dans le cas de la France, c’est la multiplicité des niveaux de décision politique, l’enchevêtrement de leurs compétences comme de leurs financements, le cumul des mandats et le recours à différents modes de scrutin pour chacun de ces niveaux qui découragent jusqu’aux meilleurs citoyens. Quand la plupart des projets d’investissements sont co-décidés et co-financés à la fois par la commune, la communauté d’agglomération, le département, l’Etat et même l’Europe, comment mesurer le rôle des uns et des autres ? Quand augmente un impôt qui alimente plusieurs collectivités différentes, à qui en faire grief ? Et si l’électeur a le sentiment que son vote ne changera rien, parce que, de toute façon, l’élu sera prisonnier de cet enchevêtrement, il a le choix entre exprimer son (mé)contentement national, ou rester chez lui pour ne pas perdre son temps. Ce n’est pas un hasard si le taux de participation est le plus élevé quand l’enjeu est clair, les candidats connus et les débats largement repris dans les médias : l’élection présidentielle, où se décide notre avenir national, et les municipales, dont dépend notre vie quotidienne. Il faut y ajouter les référendums, quand la question est suffisamment simple pour se satisfaire d’une réponse par oui ou non. Là, à juste titre, le peuple a le sentiment d’être le maître du jeu.

Plus de la moitié des électeurs ont boudé les élections cantonales ? Mais la proportion de ceux qui ignorent les fonctions du Conseil général et qui ne savent même pas à quel canton ils appartiennent est bien plus forte ! Jamais les mots « d’engagement citoyen », de « modèle républicain » et de « démocratie participative » n’ont été aussi employés, mais jamais les bases de l’instruction civique n’ont été aussi peu enseignées et aussi méconnues. Tandis que, confondant égalité et égalitarisme, la plupart des médias ont mis en avant le nombre élevé des candidats pour justifier un niveau d’information équivalent à un service minimum. Comment s’étonner alors d’une journée électorale aussi crépusculaire ?

La vérité est que tout notre système démocratique est à repenser, non pas de haut en bas, mais de bas en haut : comment s’assurer que les électeurs choisissent leur destin à travers leurs élus, au niveau local, au niveau régional, au niveau national et au niveau européen ? Le meilleur moyen serait d’attribuer à chacun de ces niveaux un champ de compétences exclusives et un financement autonome, tout en assurant partout un mode de scrutin qui garantisse que les élus sont choisis par les électeurs et non par les dirigeants des partis. La réforme constitutionnelle du début de l’actuel quinquennat et celle des conseillers territoriaux adoptée plus récemment doivent être considérées comme les premières pierres d’un édifice à bâtir pendant le quinquennat suivant. En partant, non de l’intérêt des partis, mais de celui de la démocratie : donner aux citoyens les moyens concrets d’exercer une souveraineté qui, trop souvent, leur échappe, même au niveau local. 

 Alain LAMASSOURE, le 28 mars 2011