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Pour un message d’après-crise

Les sondages s’affolent ? Ecoutons les Français ! L’occasion nous en est donnée : les élections cantonales. Même si sa portée politique en est modeste, comme toute campagne électorale elle permet cet échange d’une richesse irremplaçable entre les citoyens et ceux qui aspirent à les représenter. Voici quelques impressions glanées au hasard des rencontres aux quatre coins du sud-ouest.

Où en est la France, et où va-t-elle ? Cette question résume toutes les autres. Elle est partagée par toutes les catégories de Français. Le formidable message de rénovation générale sur lequel Nicolas Sarkozy a été élu en 2007 – la « rupture » ! – est complètement brouillé : la multiplication initiale des annonces, les changements de priorités, les nombreux remaniements ministériels sont passés par là. Mais l’essentiel est ailleurs : c’est la crise. Chacun comprend, chacun admet que la crise a affaibli l’économie et ralenti les réformes. Mais elle a aussi bouleversé tous les repères – pas seulement en France, partout en Europe. La crise a jeté une lumière crue sur nos faiblesses structurelles : nous vivons au-dessus de nos moyens, nous travaillons trop peu, nous nous contentons depuis trop longtemps d’une croissance bien trop faible pour soutenir notre mode de vie et nos régimes sociaux. La crise a révélé l’ampleur de la mondialisation et de la concurrence impitoyable à laquelle nous sommes maintenant confrontés. Comparés, non point aux Chinois ou aux Brésiliens, mais à nos voisins allemands, les chiffres sont sans appel : notre modèle économique n’est plus compétitif. Et chacun pressent que notre gentil modèle de gouvernance à la française, où les résultats électoraux sont remis en cause en permanence par un pouvoir de blocage syndical, dans les rues de Paris ou sur le port de Marseille, est désormais à bout de course, à partir du moment où la paix sociale ne peut plus être achetée à crédit par un Etat par trop surendetté. Bref, ce dont la France a besoin, c’est d’un message clair sur le monde de l’après-crise. Et sur ce qu’il implique pour notre pays.

Avons-nous purgé la crise financière ? A quel prix, et pour qui ? Les centaines de milliards annoncés fin 2008 pour sauver le système financier, en quoi consistaient-ils, et ont-ils été récupérés, maintenant que les banques recommencent à engranger des profits substantiels ? En privé, à l’heure de l’apéro, c’est la première question que l’on se pose dans la France profonde.

La France était entrée dans la crise affaiblie par des années de croissance lente et de résignation au chômage permanent. Comment peut-elle en sortir plus forte, en retrouvant compétitivité et croissance et en donnant à ses jeunes les emplois dont trop d’entre eux ont été privés ?

La purge budgétaire rendue nécessaire par le gouffre de la dette exige-t-elle de faire un peu moins de tout, ou de faire tout différemment ? Peut-on vraiment réduire les dépenses publiques et étendre la protection sociale à la dépendance ? S’agit-il désormais d’alléger la fiscalité, comme cela fut entrepris en 2007 avec le bouclier fiscal, ou de l’accroître, comme il l’est envisagé avec la suppression de celui-ci, ou de transférer sur la TVA les charges qui pèsent sur l’emploi, comme l’ont fait les Allemands ? Si les 35 heures sont à l’origine de notre décrochage économique, comme tout le prouve depuis dix ans, pourquoi n’achève-t-on pas de les supprimer ? A défaut de quoi, on se prive, au passage, de la capacité de « ringardiser » une fois pour toutes Mme Aubry, qui les a mises en œuvre, et un certain DSK, qui, on l’oublie, les avait directement inspirées et savamment justifiées à l’époque …

La conversion à une économie respectueuse de l’environnement est désormais un rare sujet de consensus national : passe-t-elle par des règles internationales unanimement acceptées, ou par des règlementations hexagonales qui honorent moralement la France mais qui pénalisent unilatéralement ses producteurs ?

Enfin, une leçon majeure de la crise est que les grands choix de politique économique, et même sociale, doivent se faire désormais à Bruxelles, par accord entre les pays qui partagent la même monnaie : comment en assurer alors le contrôle parlementaire et la légitimité démocratique ? Immense question, radicalement nouvelle, les institutions communautaires actuelles n’ayant pas vraiment compétence sur les domaines qui relèvent de la souveraineté nationale.

C’est à ces questions-là que nos compatriotes attendent des réponses. Bien plus qu’aux thèmes récemment relancés dans le débat public, tels que la sécurité, l’immigration, ou la place de l’islam dans la République. Car enfin, voilà dix ans que l’actuelle majorité de droite et du centre occupe le pouvoir sans partage au niveau national. Les lois se sont succédé, sur la réforme de la justice, les peines planchers, le châtiment des bandes organisées et des multirécidivistes, la répression de l’immigration clandestine, le statut de l’immigration légale. La religion musulmane est représentée par une organisation nationale depuis 2003, le port du foulard a été efficacement prohibé, la loi interdisant la dissimulation du visage vient d’entrer en vigueur. Si, dans ces domaines, de graves problèmes se posent encore dix ans après, à qui faut-il s’en prendre ? Au contraire, si, comme c’est le cas, les progrès sont lents, mais réguliers et incontestables, pourquoi se livrer à une telle auto-flagellation politique ?

Si l’on veut éviter le retour à l’affrontement de 2002, répondons aux questions que se posent les Français aujourd’hui. Et proposons-leur de se projeter dix ans en avant, et non pas dix ans en arrière.

 Alain LAMASSOURE, le 7 mars 2011